LE CONTEXTE
Helicobacter pylori (HP) est traité depuis 25 ans par des antibiothérapies probabilistes successives. Mais des résistances apparaissent et les échecs thérapeutiques se multiplient, ce qui conduit à administrer davantage d’antibiotiques, de plus en plus longtemps.
En 2016, pas moins de quatre conférences de consensus se sont montrées en faveur d’un traitement non pas « probabiliste » mais orienté par des tests de résistance aux antibiotiques, en particulier à la clarithromycine, clé du traitement d’éradication. Dans la suite de ses préconisations précurseures de 2010 (7), la HAS vient de mettre à jour ses recommandations de prise en charge.
L’INFECTION À HELICOBACTER
’infection à HP est répandue dans le monde entier. Dans les pays en voie de développement, 80 à 90 % des jeunes adultes sont atteints. En France, la prévalence est comprise entre 15 et 30 % et dépend :- de l’âge : moins d’un Français sur cinq avant 30 ans, contre un sur deux après 50-60 ans ;
- de la région d’origine : 80 % chez les personnes provenant du Maghreb, d’Afrique, d’Asie.
L’infection entraîne une gastrite aiguë, puis chronique, le plus souvent asymptomatique. Après plusieurs décennies, presque 1 patient sur 10 développera un ulcère et 1 % aura un cancer gastrique. L’éradication d’HP réduit de 35 % le risque d’adénocarcinome gastrique, même en cas de lésions prénéoplasiques ; le risque serait même complètement annulé si l’infection était éradiquée avant la survenue de l’atrophie et de la métaplasie intestinale.
Enfin, 2/3 des lymphomes du tissu lymphoïde associé aux muqueuses (MALT) sont associés à HP et quand il est présent, son éradication permet la régression du lymphome dans 60 voire 90 % des cas.
ÉTAT DES LIEUX : PEUT MIEUX FAIRE !
Les données médico-administratives colligées par la HAS [4] en 2015 révèlent que la pratique clinique est parfois éloignée des recommandations.Ainsi, certaines indications de recherche d’une infection à HP sont méconnues, comme les antécédents familiaux de cancer gastrique.
Sur le plan thérapeutique, l’ancienne « trithérapie probabiliste » (amoxicilline + clarithromycine + IPP) était encore prescrite par 12 % des généralistes en 2015, alors 22 % des souches étaient résistantes à la clarithromycine. Après un échec, les mêmes antibiotiques sont parfois réutilisés, ce qui a pour seul effet d’augmenter encore plus la sélection de résistances. En 2015, l’antibiothérapie était prescrite pour 7,5 jours en moyenne (alors qu’elle aurait dû être de 10 ou 14 jours selon les schémas).

Le contrôle systématique de l’éradication par test respiratoire est parfois oublié dans la pratique. Enfin, 13 % des sérologies prescrites en 2015 l’ont été – à tort – après traitement d’éradication, pouvant induire une nouvelle et inutile antibiothérapie.
LA RECHERCHE D'HELICOBACTER ?
Sérologie +/- gastroscopie
Selon les situations, la HAS recommande soit une sérologie première, soit une gastroscopie première (algorithme 1 disponible sur legeneraliste.fr).► L’objectif de la sérologie est d’éviter la gastroscopie chez les patients H.pylori négatifs qui ont peu de risque d’avoir une lésion sévère et d’orienter les patients H.pylori positifs vers un bilan gastroscopique. La sérologie a une sensibilité et une spécificité au moins égale à 90 %, avec une valeur prédictive négative de 93 %. Elle détecte des IgG. Elle n’est pas indiquée pour contrôler l’éradication, les anticorps pouvant persister des mois, voire des années après éradication. Il est inutile de répéter une sérologie.
► L'intérêt de la gastroscopie est triple : rechercher une infection à HP, repérer des lésions prénéoplasiques, et, idéalement, permettre la réalisation d’un antibiogramme. la réalisation de biopsies gastriques doit être systématique.
La culture est longue (12 jours) et délicate, largement conditionnée par la qualité des conditions pré-analytiques. Les biopsies doivent être immédiatement congelées après prélèvement ou transportées sur des milieux spéciaux. La culture et l’antibiogramme ne sont actuellement réalisés que par un nombre restreint de laboratoires. Ces difficultés pourraient être partiellement contournées par des techniques de PCR, dont les conditions de transport sont moins contraignantes. En effet, les gènes de résistance à la clarithromycine sont bien identifiés et peu nombreux. Cependant, ces techniques ne sont pas remboursées à ce jour.
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Quand rechercher HP ?
► Avant la prise d’AINS ou d’aspirine à dose anti-agrégante, les patients ayant un antécédent d’ulcère et chez qui l’éradication d’HP n’a pas été prouvée devront bénéficier d’une sérologie. Chez eux, les effets conjugués de l’infection à HP et du traitement par AINS/aspirine multiplient le risque d’ulcère hémorragique par plus de 6.
► Dans les autres indications de la recherche d’HP, on retrouve les « apparentés » à un patient ayant eu un cancer gastrique, dont le risque de cancer gastrique est significativement supérieur à celui de la population générale: en pratique, sont concernés les parents, les frères et sœurs, et les enfants. Ces « apparentés » bénéficieront d’une sérologie avant 40-45 ans, et d’une gastroscopie d’emblée au-delà.
► Outre l’antécédent familial de cancer gastrique, les autres facteurs de risque de cancer gastrique qui doivent faire rechercher une infection à HP sont les syndromes de prédisposition aux cancers digestifs (HNPCC/Lynch) ; un antécédent de gastrectomie partielle ou de traitement endoscopique de lésions cancéreuses gastriques ; un antécédent de lésions prénéoplasiques gastriques (atrophie sévère et/ou métaplasie intestinale, dysplasie).
► La prise en charge des dyspepsies est quelque peu modifiée, en tout cas avant 40-45 ans. Jusqu’à présent, la conférence de Maastricht [11] proposait, en l’absence de signe d’alarme, soit la stratégie « test and treat » (test respiratoire qui, s’il est positif, impose un traitement d’éradication probabiliste), soit la stratégie « treat » (traitement par IPP suivi d’une endoscopie en l’absence d’amélioration ou de récidive rapide). Le groupe de travail de la HAS et du Collège National Professionnel d’Hépato-Gastro-Entérologie n’est pas favorable au « test and treat ». En effet, cette approche n’a pas prouvé, en France [9, 10], son bénéfice clinique ou médico-économique, a fortiori face au risque d’augmentation des résistances bactériennes en cas d’antibiothérapie probabiliste. De plus, dans la population jeune (<40-45 ans) française, la prévalence d’HP est faible.
Chez les patients traités par IPP au long cours, la progression vers l’atrophie gastrique est accélérée. Chez eux, l’éradication d’HP guérit la gastrite ou stoppe sa progression. D’après l’INCa, les patients traités par IPP depuis plus d’un an constituent une population à risque de cancer gastrique chez qui il est indiqué de rechercher et traiter une infection à HP. Néanmoins, compte tenu du faible niveau de preuve et des incertitudes, le groupe de travail ne retient pas d’indication consensuelle à rechercher HP et préconise une « discussion au cas par cas ».
LA MENACE DES RÉSISTANCES
► L’antibiorésistance la plus problématique porte sur les macrolides (voir fig. 2). Une étude multicentrique (2 204 patients ambulatoires dans 18 pays d’Europe) menée entre 2008 et 2009 [16] retrouvait chez l’adulte un taux de résistance à la clarithromycine de 17,5 % (contre 9,8 % 10 ans plus tôt). La double résistance à la clarithromycine et au métronidazole concernait 15 % des souches européennes, et augmentait logiquement à plus de 50 % chez les patients ayant déjà bénéficié d’un traitement anti-HP. Les statistiques nationales sont encore moins bonnes puisqu’une étude sur près de 1 000 patients dans diverses régions [8] retrouvait qu’après une antibiothérapie d’éradication d’HP (dont la moitié par Pylera®), la résistance à la clarithromycine et au métronidazole était respectivement de 73,9 % et 78,3 %.
► Concernant le métronidazole (voir fig. 3), il semblerait que les méthodes permettant de détecter la résistance manquent de fiabilité et que l’impact de la résistance sur les taux d’éradication soit limité et compensé par l’augmentation des doses ou l’allongement de la durée du traitement.

COMMENT TRAITER ?
Les trois principes thérapeutiques
Le traitement d’éradication repose sur trois principes incontournables :1. Il est indispensable d’avoir démontré la présence de l’infection à HP avant tout traitement d’éradication.
2. Le traitement n’est pas urgent. En cas de grossesse/allaitement, le traitement est différé.
3. Le traitement doit être guidé dans la mesure du possible en fonction de la résistance aux antibiotiques, notamment à la clarithromycine. Dans ce cas, l’antibiothérapie durera 10 jours. À défaut, le traitement sera probabiliste.

Traitement guidé par un antibiogramme
► Dans la situation doublement idéale où l’antibiogramme a pu être réalisé et que la souche est sensible à la clarithromycine, le traitement est une trithérapie IPP + amoxicilline + clarithromycine. Les 10 jours de traitement coûtent 37,73 €. En cas d’allergie documentée à l’amoxicilline on prescrira une trithérapie IPP + clarithromycine + métronidazole.► Si la souche est résistante à la clarithromycine, cette dernière est remplacée par la lévofloxacine. Les 10 jours de trithérapie IPP + amoxicilline + lévofloxacine coûtent 36,14 €. En cas d’allergie documentée à l’amoxicilline on choisira une quadrithérapie « avec bismuth ».
► Si la souche est résistante à la clarithromycine et également à la lévofloxacine, on optera pour une quadrithérapie bismuthée de 10 jours associant oméprazole, sel de bismuth, tétracycline et métronidazole (Pylera® + oméprazole). Le bismuth peut être responsable d’effets neurologiques faisant l’objet d’un programme national de surveillance renforcée par l’ANSM [14]. Le risque d’encéphalopathie au bismuth [15] impose de ne jamais dépasser les 10 jours de traitement. La survenue de signes neurologiques impose son arrêt immédiat. Les 10 jours de traitement coûtent 66,60 €.
Le traitement probabiliste
Si l’évaluation de la sensibilité de la bactérie aux antibiotiques n’a pas pu être réalisée, le traitement sera alors une quadrithérapie « probabiliste » associant un IPP et trois antibiotiques. Les anciennes modalités de traitement « probabiliste » par trithérapie de 7 jours associant un IPP et deux antibiotiques n’ont plus lieu d’être compte tenu de l’augmentation des antibiorésistances. Deux types de quadrithérapies probabilistes existent :- la quadrithérapie « concomitante » sur 14 jours : IPP + amoxicilline + clarithromycine + métronidazole (52,68 €) ;
- la quadrithérapie « avec bismuth » sur 10 jours : oméprazole + sel de bismuth + tétracycline + métronidazole. La quadrithérapie bismuthée est à privilégier « en cas de prise antérieure de macrolide », mais le texte ne précise pas le délai exact à respecter entre la dernière prise de macrolide et le traitement d’éradication. La quadrithérapie bismuthée s’impose également en cas d’allergie à l’amoxicilline.
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CONTRÔLE DE L’ÉRADICATION
La recommandation ne change pas : le contrôle d’éradication doit être systématique, au moins 4 semaines après la fin du traitement. Aucun traitement n’est efficace à 100 %, même lorsqu’un antibiogramme a été réalisé.► Le test respiratoire est performant (sensibilité >93% et une spécificité >97%) et remboursé pour le contrôle d’éradication. Il doit être réalisé à jeun, au moins 2 semaines après l’arrêt de tout IPP (ou anti-H2) et au moins 4 semaines après l’arrêt de tout antibiotique.
La HAS estime qu’il est probablement utile, afin d’en améliorer l’observance, de prescrire le test respiratoire sur la même ordonnance que l’antibiothérapie.
► En cas d’échec de la quadrithérapie bismuthée de 10 jours, le patient devra recevoir la quadrithérapie concomitante de 14 jours, et vice-versa. Après échec d’un traitement par quadrithérapie « avec bismuth » chez un patient allergique à l’amoxicilline, la prescription sera forcément orientée par l’évaluation de la sensibilité aux antibiotiques.
► En cas d’échec d’éradication après deux lignes de traitement, une gastroscopie avec biopsies permettra l’obtention d’un antibiogramme. Le traitement sera alors orienté par l’avis du Centre national de référence des Campylobacter et Hélicobacter.
Bibliographie
1- Haute Autorité de Santé. Conseil National Professionnel d’Hépato-Gastro-Entérologie. Diagnostic de l’infection par Helicobacter pylori chez l’adulte. Pertinence des soins. Mai 2017. Disponible sur https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2017-06/di…
2- Haute Autorité de Santé. Conseil National Professionnel d’Hépato-Gastro-Entérologie. Traitement de l’infection par Helicobacter pylori chez l’adulte. Pertinence des soins. Mai 2017. Disponible sur https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2017-06/di…
3- Haute Autorité de Santé. Infection par Helicobacter pylori chez l’adulte : la HAS précise les actes de diagnostic et les modalités de traitement.Communiqué de presse. 21 juin 2017. Disponible sur https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2775406/fr/infection-par-helico…
4- Haute Autorité de Santé. Pertinence des actes et prescriptions médicamenteuses chez un patient adulte infecté par Helicobacter pylori. Analyse des bases de données privées et médico-administratives. Mai 2017. Disponible sur https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2017-06/di…
5- Haute Autorité de Santé. Pertinence des actes et prescriptions médicamenteuses chez un patient adulte infecté par Helicobacter pylori. Pertinence des soins. Rapport d’élaboration. Mai 2017. Disponible sur https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2017-06/di…
6- Ngouanesavanh TM. Traitement orienté pour Helicobacter pylori: culture ou PCR? Extrait du numéro de Février-Mars 2017 de Biologiste Infos. Disponible sur http://www.helicobacter.fr/images/Biologistesinfo.pdf
7- Haute Autorité de Santé. Dépistage de l’infection à Helicobacter pylori. Pertinence et populations concernées. Avril 2010. Disponible sur https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2010-08/ar…
8- Ducournau A, Benejat L, Sifre E, Bessede E, Lehours P, Megraud F. Helicobacter pylori resistance to antibiotics in 2014 in France detected by phenotypic and genotypic methods. Clin Microbiol Infect 2016;22(8):715-8.
9- Ford AC, Qume M, Moayyedi P, Arents NL, Lassen AT, Logan RF, McColl KE, Myres P, Delaney BC. Helicobacter pylori "test and treat" or endoscopy for managing dyspepsia: an individual patient data meta-analysis. Gastroenterology. 2005 Jun;128(7):1838-44
10- Lassen AT et al. Helicobacter pylori test and eradicate versus prompt endoscopy for management of dyspeptic patients: 6.7 year follow up of a randomised trial. Gut 2004;53:1758-1763
11- Malfertheiner P, Megraud F, O’Morain C, Bazzoli F, El-Omar E, Graham D, et al. Current concepts in the management of Helicobacter pylori infection – The Maastricht III Consensus Report. Gut 2007
12- Site du Centre National de Référence des Campylobacters et Helicobacters. Page consultée le 10/8/2017. https://www.cnrch.fr/
13- Site du Groupe d’Etude Français des Hélicobacter. Page consultée le 10/8/2017. http://www.helicobacter.fr
14- ANSM. Pylera : mise sur le marché et informations importantes de pharmacovigilance - Point d'information. Avril 2013. Disponible sur http://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-informati…
15- ANSM. Fiche de pharmacovigilance – atteintes neurologiques et bismuth. Disponible surhttp://ansm.sante.fr/content/download/47543/613406/version/1/file/13040…
16- Megraud F, Coenen S, Versporten A, Kist M, Lopez-Brea M, Hirschl AM, Andersen LP, Goossens H, Glupczynski Y; Study Group participants. Helicobacter pylori resistance to antibiotics in Europe and its relationship to antibiotic consumption. Gut. 2013 Jan;62(1):34-42
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