INTRODUCTION
Le phénomène de Raynaud (PR) est un acrosyndrome vasculaire, lié à une ischémie paroxystique des extrémités en réponse à un stress environnemental. Sa physiopathologie est complexe et encore imparfaitement élucidée. La dysfonction microvasculaire joue un rôle clé, avec souvent une composante neurovasculaire. Le bilan doit comprendre au minimum le dosage des anticorps antinucléaires et une capillaroscopie péri-unguéale, éventuellement complétée par un écho-doppler artériel.
DIAGNOSTIC
Le PR se définit par sa survenue paroxystique (durée de 10 à 30 minutes), déclenchée par le froid, l’humidité, le changement de température ou le stress, avec typiquement une phase syncopale blanche asphyxique, une phase cyanique de désaturation et une phase rouge hyperhémique, mais la phase cyanique peut manquer.
Il touche plutôt les mains mais peut parfois atteindre les pieds, le nez ou les oreilles, voire la langue, et il a été décrit des PR concernant le mamelon chez des femmes qui allaitent. La localisation ne préjuge pas de son caractère primaire ou secondaire.
On recommande désormais au patient de prendre des photos des parties atteintes, des deux côtés, et montrant tous les doigts au niveau des mains, y compris le pouce, dont l’atteinte oriente vers un PR secondaire. Ces clichés permettent aussi de prouver le PR si des démarches auprès de la médecine du travail s’avèrent nécessaires.
Les formes secondaires sévères peuvent s’associer à des ulcérations digitales ou des ischémies digitales critiques.
PHÉNOMÈNE DE RAYNAUD PRIMAIRE OU SECONDAIRE
Le PR est dit primaire lorsqu’il est idiopathique, et secondaire lorsqu’il est associé à certaines pathologies responsables d’une oblitération vasculaire.
Les PR idiopathiques représentent 60 à 90 % des cas, les secondaires 10 à 30 % ; dans 0 à 10 % des cas, il persiste un doute après le bilan et le patient devra être revu.
→ Le PR primaire touche plus souvent les femmes jeunes, et débute précocement. Il est bilatéral, ne s’accompagne pas de troubles trophiques et la manœuvre de Allen est normale (après compression locale des artères radiale et cubitale au niveau du poignet du patient, on lui demande de fermer plusieurs fois la main, et la levée de la compression doit entraîner une recoloration rapide et homogène). On retrouve volontiers des antécédents familiaux de PR.
→ Le PR secondaire à une connectivite concerne plutôt les femmes après 50 ans. L’atteinte touche les deux mains et peut s’associer à des troubles trophiques et des signes systémiques. On évoque en premier lieu la sclérodermie, dans laquelle le PR est présent dans 95 à 100 % des cas, parfois 2 à 5 ans avant les autres signes. On le retrouve aussi dans 85 % des connectivites mixtes, 10 à 45 % des lupus systémiques, 30 % des Gougerot-Sjögren, 20 % des dermatomyosites et 20 % des polyarthrites rhumatoïdes ainsi que dans les syndromes des anti-phospholipides.
→ Dans les PR secondaires aux artériopathies, le terrain est bien différent : il s’agit plutôt d’un homme, le début est tardif, la manœuvre de Allen pathologique. Le PR peut résulter d’une atteinte liée à des traumatismes répétés professionnels (classique « syndrome du marteau ») ou sportifs (NB : les facteurs de risque cardiovasculaires sont aggravants mais pas directement responsables). Il est lié à des vibrations ou des chocs réitérés, concernant une main (pas systématiquement la main dominante) ou les deux mains en fonction de l’utilisation de l’outil. La séméiologie est un peu différente avec une composante plus neurologique que vasculaire, avec en particulier une hyposensibilité de la main et/ou des doigts à rechercher.
Il est important de les dépister avant la survenue d’ulcérations digitales ou d’embolisations à partir d’un anévrysme artériel. L’écho-doppler artériel est alors indispensable.
Globalement un début du PR après 40 ans, une atteinte de tous les doigts incluant le pouce, une aggravation inexpliquée, des troubles trophiques sont fortement suspects d’un PR secondaire.
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
Le caractère paroxystique du PR et la phase « syncopale » permettent de le distinguer de l’acrorhigose (sensation permanente et symétrique de mains ou de pieds froids) et de l’acrocyanose (association d’une acrorhigose avec une cyanose des extrémités et souvent une hyperhidrose palmoplantaire) qui peuvent survenir sur le même terrain que le PR primaire, soit une femme jeune mince, voire très mince. Mais les PR peuvent aussi s’accompagner d’engelures ou d’acrocyanose.
Le changement de coloration de la main doit faire distinguer le PR des paresthésies d’un syndrome du canal carpien, mais celui-ci peut être associé à une maladie auto-immune (MAI), en particulier une thyroïdite qui doit faire demander une TSH ou la thyroglobuline, surtout s’il existe un œdème de la main ou des doigts. Le diagnostic différentiel est parfois complexe, le canal carpien et l’hypothyroïdie pouvant majorer un PR ou une connectivite.
BILAN PARACLINIQUE
Afin d’identifier les patients à risque d’évoluer vers une sclérodermie, l’interrogatoire et l’examen clinique doivent systématiquement être complétés par la recherche des anticorps antinucléaires (AAN) et des anticorps plus spécifiques des connectivites Ac anti-centromères, anti-Th/To, anti-topoisomérase I, anti-RNA polymérase III, ainsi que par une capillaroscopie péri-unguéale à la recherche d’une micro-angiopathie spécifique prédictive de la survenue d’une sclérodermie.
En fonction du taux des AAN, de leur spécificité et des résultats de la capillaroscopie, un algorithme permet d’évaluer le risque de survenue d’une sclérodermie et le niveau de surveillance. Devant un PR sans AAN avec capillaroscopie normale, le risque d’évolution vers une sclérodermie est de 0 à 5 % à 5 ans, mais autour de 45 % en cas d’anomalie de l’un ou de l’autre, et de 79 à 94 % s’il existe aussi des anticorps spécifiques et a fortiori des doigts boudinés ou avec sclérose cutanée.
En pratique, en l’absence d’éléments cliniques suspects, si la capillaroscopie est normale et que les AAN sont normaux, le suivi pourra être arrêté, sauf si la symptomatologie se modifie. Inversement, si la capillaroscopie est anormale, que le taux d’AAN est élevé et que l’on met en évidence des Ac très spécifiques, le risque de développer une sclérodermie est majeur et le (la) patient(e) doit être adressé(e) à un spécialiste de la maladie. Dans les situations intermédiaires, lorsque la biologie est normale mais la capillaroscopie anormale, il est nécessaire de refaire le bilan régulièrement afin de vérifier s’il s’agit d’un vrai PR primaire ou d’une forme secondaire à une pathologie auto-immune.
Chez un homme de 50 ans, on ajoutera un écho-doppler artériel des artères du poignet, des arcades palmaires et des artères digitales à la recherche d’une obstruction vasculaire voire d’un anévrysme de l’artère cubitale susceptible de se thromboser et d’emboliser.
PRÉVENTION
Les mesures de bon sens suffisent le plus souvent dans les PR primaires : protection contre le froid, arrêt du tabac, éviter les bagues ainsi que les chaussures serrées, les boissons riches en caféine et supprimer, si cela est possible, les médicaments favorisant le PR (cf. encadré 1). Une adaptation du poste de travail peut être nécessaire si le PR est lié à l’activité professionnelle.
Les équipements de protection contre le froid ont nettement progressé, avec maintenant des semelles ou des gants chauffants dont certains dotés d’un système de réglage des températures. Ils constituent un atout incontestable pour les patients mais ils sont souvent onéreux.
TRAITEMENT
Il reste difficile d’évaluer réellement l’impact du PR et donc l’efficacité des traitements. Selon les études, les critères d’évaluation sont très différents : intensité des crises, durée, fréquence, avec ou sans protection contre le froid ou les facteurs déclenchants. Le RCS (Raynaud’s Condition Score), maintenant traduit en français, cote la gêne sur une échelle de 0 à 10 (cf. encadré 2).
Un traitement pharmacologique peut s’avérer nécessaire car la maladie peut altérer lourdement la qualité de vie, y compris dans les formes primitives, et il faut prévenir et traiter la survenue de troubles trophiques dans les formes secondaires.
Les inhibiteurs calciques (ICa) constituent le traitement de première ligne mais seule la nifédipine a l’AMM en France (elle réduit de plus de 50 % le nombre de crises par semaine, et de 33 % leur sévérité). Or les formes LP de nifédipine (adalate et chronadalate LP) ont été supprimées et de nombreux ICa, en particulier ceux à libération prolongée, comme la félodipine, sont en rupture de stock, et la nicardipine n’existe en LP qu’à un dosage élevé de 50 mg ! De plus, les ICa sont souvent arrêtés car mal tolérés.
On peut avoir recours dans les formes sévères aux IPDE5, même s’ils n’ont pas l’AMM dans cette indication, et le sildénafil est recommandé par un groupe d’experts pour sa facilité d’emploi et sa relative bonne tolérance, bien qu’il n’ait fait ses preuves qu’en association avec le bosentan dans les PR secondaires avec ulcérations digitales. Dans certains PR primaires, il a été évalué en prise unique avant l’exposition au froid, avec des résultats très patient-dépendants qui demandent à être validés.
On dispose de peu d’alternatives thérapeutiques. Le bosentan, antagoniste des récepteurs de l’endothéline, n’a d’indication qu’en prévention secondaire des ulcères digitaux, et l’iloprost, analogue de la prostacycline, est prescrit en perfusion pendant 5 jours dans les PR sévères avec ou sans troubles trophiques.
Ces traitements restent insuffisamment efficaces pour un certain nombre de patients, aussi d’autres pistes ont-elles été envisagées. L’injection de toxine botulinique ne doit pas être utilisée dans les PR primaires, mais quelques séries sont encourageantes dans les secondaires. Une étude (Brass) est en cours d’analyse avec l’injection de toxine botulinique dans les PR secondaires à des sclérodermies avec ou sans ulcération digitale.
Une étude a débuté à Grenoble sur les nitrates sous forme de compléments alimentaires apportés soit en comprimés soit par du jus de betterave, ces éléments pouvant aider indirectement à libérer du NO.
Dr Maia Bovard-Gouffrant (rédactrice) avec le Pr Sophie Blaise (médecine vasculaire, CHU de Grenoble)
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