Dans son cabinet situé à Matoury, c'est le branle-bas-de-combat pour le Dr Christian Magnien, généraliste installé depuis 20 ans en Guyane.
« Mon associé est parti manifesté, alors je récupère ses consultations », explique-t-il au « Quotidien ». Depuis le 20 mars dernier et le début du mouvement social guyanais, « les médecins sont solidaires du mouvement » constate ce généraliste qui reçoit aussi des patients infectés par le VIH au centre hospitalier de Cayenne.
En dépit des barrages, les praticiens poursuivent leur travail : « très intelligemment, les manifestants laissent passer les médecins, poursuit le Dr Magnien. Par contre, il arrive que nos patients ne puissent pas se rendre chez leur médecin habituel, alors nous nous arrangeons entre nous pour prendre en charge les patients de collègues qui sont proches de nous ».
Un renforcement des stéréotypes
De tels événements étaient « inéluctables », estime le Pr Mathieu Nacher, du centre hospitalier de Cayenne, responsable du COREVIH de Guyane qui craint « un prix à payer en termes de renforcement des stéréotypes négatifs. Cela va rendre encore plus difficile le recrutement de médecins venant de la métropole. Nous assistons déjà à un turn-over important à l'hôpital. »
Pour les médecins, les blocages du mouvement organisé par le collectif « Pou La Gwiyann Dekolé » (Sauvons la Guyane), ne sont pas grand-chose face à la dégradation progressive d'un système de santé qui n'a pas suivi l'explosion démographique observée ces dernières années. « Ce sont les médecins hospitaliers qui sont les plus à plaindre et qui partent massivement pour le secteur privé, quand ils ne quittent tout simplement pas la région », relève le Dr Magnien.
« Nous devons souvent envoyer des patients en métropole ou en Martinique par convois sanitaires, confirme le Pr Mathieu Nacher, en cancérologie. Il existe bien une consultation en chimiothérapie mais pas pour la radiothérapie. Imaginez quand il s'agit d'un Amérindien vivant dans la forêt et qu'il doit se rendre à Lyon ! »
La région ne compte que 42,5 généralistes et 18,5 spécialistes pour 100 000 habitants, avec une moyenne d’âge de 55 ans chez les généralistes et de presque 60 ans chez les spécialistes. « Cela fait 15 ans que nous sommes la pire région de France en matière de démographie médicale, d'autres régions manquent aussi de médecins, mais en Guyane il faut parfois parcourir 7 000 km pour se faire soigner », affirme le Dr Stanley Caroll, délégué local de la CSMF.
Des patients traités tardivement
Non seulement les médecins sont peu nombreux, mais ils doivent traiter « des populations, ne parlant souvent pas français, et qui arrivent tard dans le système de santé avec des pathologies avancées », constate le Pr Nacher. Malgré cela les médecins guyanais réussissent parfois des exploits : même si la Guyane présente les plus grosses incidence et prévalence d'infection par le VIH en France, le succès thérapeutique y est de 94 % soit plus que le Brésil (environ 70 %) ou les États Unis (70 %) avec des taux de plus de 90 % dans les régions reculées comme la région des fleuves. « Le vrai challenge, c’est le dépistage : 29 % des malades sont dépistés avec des taux de CD4 inférieurs à 200 par mal copies, détaille le Pr Nacher, c'est un chiffre que l'on arrive difficilement à éroder. »
Tous les médecins contactés par le « Quotidien » restent optimistes pour l'avenir. La Guyane reste, pour le Pr Mathieu Nacher, « un terrain d’exercice magnifique et attachant. C’est le seul territoire européen avec un tel panel de maladies tropicales allant de la lèpre à la fièvre jaune, ajoute-t-il, si on y mettait les moyens, on pourrait attirer des médecins, y compris des Américains. Nous avons une responsabilité sur le territoire d’Amérique latine sur certaines pathologies comme la toxoplasmose amazonienne, la fièvre Q ou l’histoplasmose qui est la première infection opportuniste en Amérique du Sud. »
Padhue : Yannick Neuder promet de transformer les EVC en deux temps
À Niort, l’hôpital soigne aussi les maux de la planète
Embolie aux urgences psychiatriques : et maintenant, que fait-on ?
« Les Flying Doctors », solution de haut-vol pour l’accès aux soins en Bourgogne