Les multiples défis de la psychiatrie

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Publié le 04/10/2024
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Deuxième spécialité médicale en termes de praticiens, derrière la médecine générale, la psychiatrie fait aujourd’hui face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19. Des problématiques nouvelles qui s’ajoutent à des maux plus anciens.

Depuis 2012, les postes d’interne ne sont pas tous pourvus

Depuis 2012, les postes d’interne ne sont pas tous pourvus
Crédit photo : BURGER / PHANIE

Les soins en santé mentale augmentent chaque année. L’OMS estime qu’un Européen sur quatre est touché par des troubles psychiques au cours de sa vie. En France, la psychiatrie soigne 2,5 millions de personnes dans les différents établissements de santé. En 2022, l’Assurance-maladie dénombrait plus de 15 millions d’actes réalisés par les psychiatres et neuropsychiatres libéraux.

Cette spécialité se distingue des autres spécialités notamment par la grande diversité de sa patientèle. « Chaque patient a une histoire ce qui demande de s’adapter à chacun d’entre eux », explique Charles-Olivier Pons, chef de pôle de la pédopsychiatre au CHS du Jura à Dole. Ce qui demande une implication personnelle de la part du médecin et du temps alors que la psychiatrie, malgré son efficacité, est affectée par des manques d’effectifs et de moyens et doit faire face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19.

Manque d’attractivité

D’un point de vue démographique, avec 15 582 inscrits en 2023, la psychiatrie forme le deuxième contingent de spécialistes (après la médecine générale). Une population qui augmente régulièrement depuis 2012, année où on en dénombrait 14 392. Or plusieurs facteurs nuancent cette progression comme la moyenne d’âge des psychiatres en poste. Plus d’un tiers des effectifs en 2023 a plus de 60 ans, d’où un risque de diminution du nombre de spécialistes du fait de futurs départs en retraite.

Plus d’un tiers des effectifs en 2023 a plus de 60 ans

Cette spécialité peine également à recruter de nouveaux internes. Depuis 2012, les postes d’internes ne sont pas tous pourvus. En 2020, sur 527 postes ouverts, 54 sont restés vacants et 63 sur les 547 proposés en 2023. Un déficit d’image provoqué par les spécificités de cette spécialité. « Il y a un aspect insécurisant pour les jeunes générations car cette spécialité nécessite de se questionner en permanence et de fournir un investissement émotionnel plus important que d’autres spécialités », estime Rémi Jeannin, psychiatre dans le Doubs.

Une offre de soins disparate

En plus de ces problématiques, l’organisation de l’offre de soins évolue. Elle s’articule autour de trois modes de prise en charge : le temps complet reposant sur l’hospitalisation à temps plein ; le temps partiel à l’hôpital de jour ou de nuit et l’ambulatoire dans les centres médico-psychologiques (CMP). Entre 2008 et 2022, les capacités d’accueil en hospitalisation à temps plein ont diminué alors qu’elle demeure le mode de prise en charge majoritaire en psychiatrie générale adulte. Au total, 5 100 lits ont été supprimés, soit une diminution de 9 %, pour arriver à 52 600 lits. À l’inverse, les capacités d’accueil en hôpital de jour ont augmenté entre 2008 et 2022 passant de 26 400 à 29 500 marquant la volonté de développer les autres formes de prise en charge.

Sur le terrain, l’offre d’équipement pour les différents types de prise en charge reste malgré tout disparate. On compte en moyenne 130 lits ou places pour 100 000 habitants en 2022. Mais des départements comme Mayotte comptent trois lits pour 100 000 habitants tandis que dans ce taux monte à 255 dans l’Allier.

Les disparités d’offre de soins sont encore plus marquées en pédopsychiatrie puisque « certains départements ne comptent aucun pédopsychiatre sur leur territoire », fait remarquer Charles-Olivier Pons. Un constat partagé par la Cour des comptes qui remarquait en 2023 que la France se situait dans la moyenne des pays européens en matière d’offre d’équipements, ambulatoires comme hospitaliers. Elle dénombrait par exemple, 0,17 lit pour 1 000 habitants de moins de 18 ans et huit départements ne comptaient aucun lit.

Cette situation a de nombreuses répercussions sur les patients et leur prise en charge alors que la demande augmente et se modifie. Les troubles de l’humeur, la schizophrénie et les troubles névrotiques constituent les motifs les plus fréquents de recours. « Du fait des épisodes de confinement, on assiste par exemple à un accroissement des problématiques sociales comme le burn-out », précise Philippe Gasser, psychiatre libéral.

À la pointe de l’innovation

« La pénurie potentielle de psychiatres pourrait inciter à développer d’autres modèles de soins », estime le Dr Cédric Lemogne, chef du service de psychiatrie de l’Hôtel-Dieu à Paris. Cela inclut la création d’équipes mobiles, la généralisation de la télémédecine ou encore d’autres expérimentations menées sur le terrain afin d’améliorer le parcours de soins des personnes atteintes de troubles mentaux. À l’image du parcours Sésame lancé en octobre 2023 qui vise à améliorer le repérage précoce et proposer une prise en charge appropriée des troubles mentaux fréquents. Ce dispositif prévoit une prise en charge pluridisciplinaire entre un médecin généraliste, un psychiatre référent et un infirmier coordinateur pour constituer « l’échelon manquant entre la médecine générale et les soins psychiatriques ».

Enfin, « le développement de nouvelles thérapies fondées sur la stimulation cérébrale ou encore la perspective d’une psychiatrie de précision et d’une meilleure personnalisation des traitements montrent que la psychiatrie est à la pointe de l’innovation », conclut Cédric Lemogne.


Source : Le Quotidien du Médecin