Alors que depuis 2010 une dizaine de thèses ont été écrites sur la prévention et la prise en charge des troubles musculosquelettiques (TMS) chez les chirurgiens-dentistes français, on ne trouve aucune donnée chez les orthopédistes. Pourtant, aux États-Unis, ce sujet est largement discuté, preuve en est au moins trois articles majeurs sont parus sur le sujet entre 2021 et 2022 (1, 2, 3).
Pourquoi s’intéresser à ce sujet ? Parce que le travail au bloc opératoire des orthopédistes a la particularité de comporter des mouvements répétitifs, demandant souvent une énergie musculaire intense, parce qu’ils sont exposés à des stations debout prolongées, au maintien de positions non ergonomiques et à la fatigue musculaire qui en découle. La conception des instruments chirurgicaux qui ne fait intervenir qu’exceptionnellement des ergonomes est aussi en cause.
Conséquence prévisible : le rachis souffre tout comme les articulations et les tendons. Interrogés sur le sujet des TMS, les orthopédistes parlent d’aggravation de lésions préexistantes et de pathologies de novo. Les auteurs des articles insistent aussi sur les risques d’absentéisme liés aux douleurs et surtout - comme c’est souvent le cas aux États-Unis – sur les risques d’erreurs médicales (par perte de l’habileté manuelle ou générale) et les procès qui en découlent. Ils évoquent aussi les dangers associés du fait de l’impact de la douleur sur les mouvements (risque d’accident, d’exposition au sang, plaies par objets tranchants et nécessité d’un temps plus long d’exposition aux rayons X per-procéduraux) et de l’impact psychologique du handicap chez des professionnels qui n'ont été formés qu’à un seul métier.
Le rachis, les coudes et les épaules atteints
Quelles sont les atteintes rapportées par les chirurgiens ? L’étude ayant inclus le plus grand nombre de patients (235 personnes à tout moment de leur carrière dont 159 femmes, âge moye 57 ans, 15 heures par semaine au bloc en moyenne), met en lumière que 90 % des répondants ont ressenti au moins un TMS et ce dès le début de leur carrière (2).
L'affection la plus fréquemment signalée était la lombalgie (56 %), suivie de la cervicalgie (42 %), de la tendinite de la coiffe des rotateurs (33 %), du syndrome du canal carpien (33 %). D'autres affections étaient rapportées par 32 % des personnes interrogées : épicondylite latérale (30 %), fasciite plantaire (29 %) et arthrose de l'articulation basilaire (28 %). Les atteintes signalées par moins de 30 % des répondants comprenaient le syndrome du tunnel cubital, la sciatique, la radiculopathie lombaire, la radiculopathie cervicale, le doigt à ressaut, la tendinite du biceps, la ténosynovite de DeQuervain, l'épicondylite médiale et l'atteinte de l'articulation acromio-claviculaire. Proportionnellement, les chirurgiens hommes ont rapporté des taux plus élevés d'épicondylite médiale (p = 0,040), d'épicondylite latérale (p ≤ 0,001), de lombalgie (p = 0,001) et de radiculopathie lombaire (p = 0,001) que les chirurgiennes femmes ; cependant, les répondants hommes étaient également nettement plus âgés que leurs consœurs, et certaines affections étaient modérément corrélées avec l'âge.
Les chirurgiens orthopédiques-oncologiques (1) qui participent à des procédures multidisciplinaires particulièrement longues, signalent aussi des troubles de la circulation veineuse. Ils expliquent que les TMS liés à leur exercice médical impactent aussi dans un tiers des cas leur vie quotidienne (limitation des activités sportives principalement).
En parler au médecin de santé au travail
Pour améliorer la qualité de vie des chirurgiens et la qualité de leur travail, les auteurs américains proposent – tout comme l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) (4) en France - des axes de prévention fondés sur des améliorations techniques (matériel adapté, aides à la manutention) et organisationnelles (alternance de tâches, organisation des pauses, relations entre les services.), au moyen d’une démarche participative qui favorise le travail collectif et l’adhésion du personnel. Reste que les chirurgiens français – du moins jusqu’à présent – semblent peu sensibles à la question d’autant plus qu’ils se soumettent de façon irrégulière aux obligations de santé au travail (20 % en moyenne).
(1) Occupational injuries and burn out among orthopedic oncology surgeons. Alaseem A, Turcotte R, Ste-Marie N et coll. World J Orthop. 2022 Dec 18; 13(12): 1056- 1063. doi: 10.5312/wjo.v13.i12.1056
(2) A Survey of Musculoskeletal Disorders in the Orthopaedic Surgeon: Identifying Injuries, Exacerbating Workplace Factors, and Treatment Patterns in the Orthopaedic Community. Swank K, Furness J, Baker E et coll. J Am Acad Orthop Surg Glob Res Rev. 2022 May; 6(5): e20.00244 . doi: 10.5435/JAAOSGlobal-D-20-00244
(3) Work-related musculoskeletal injuries among upper extremity surgeons: A web-based survey. Alzahrani M, Algahtani S, Pichora D et coll. World J Orthop. 2021 Nov 18;12(11):891-898. doi: 10.5312/wjo.v12.i11.891.
(4) Les troubles musculosquelettiques au bloc opératoire. Aublet-Cuvelier A. – Interbloc. Doi : 10.1016/j.bloc.2012.12.013
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