Le possible manque de soignants du fait d’une hospitalisation ou d’une mise en quarantaine pose question dans le contexte d’épidémie COVID-19. Déjà, fin février, le Haut Conseil de la Santé Publique a émis des recommandations pour le personnel soignant au retour d’une zone d’exposition au risque afin d’éviter les évictions longues qui impacteraient le fonctionnement des hôpitaux. Le 4 mars, les ARS relayaient un message précisant que les soignants ayant été au contact de patients COVID-19 et ne présentant pour leur part aucun signe, peuvent continuer à travailler en portant un masque FFP1 (masque chirurgical) en raison d’une balance bénéfice/risque défavorable de leur éviction systématique.
Le Dr Depil-Duval en quarantaine à son retour de Venise
Alors qu’au 4 mars 2020, plus de 200 soignants français ont déjà été mis en quarantaine pour des contacts avec des patients COVID-19, un article du Lancet fait un tour d’horizon des conséquences de ce type de mesures, qui ne peuvent être effectives, d’un point de vue de santé publique, que si leur effet négatif est minimisé. Cette revue d’articles a pris en compte 24 études (au moment des épidémies de SRAS, Ebola, H1N1, MERS-CoV) dont 7 étaient intégralement menées sur des soignants (soit au total 1 791 personnes).
Les quarantaines de soignants visent à protéger les patients, mais par effet collatéral, elles désorganisent totalement les hôpitaux, qui se retrouvent dans l’impossibilité de fonctionner sans les soignants mis à l’écart. Ainsi, dans les Hauts de France, la réserve sanitaire a été mobilisée pour pallier les plus de 130 absences pour cause de quarantaine.
Interrogé par le Quotidien, le Dr Arnaud Dépil-Duval (hôpital Lariboisière, Paris) qui a été mis en quarantaine pendant quelques jours à son retour de zone contaminée en Italie fin février explique au «Quotidien» : « l’éviction ne se conçoit que si le soignant y adhère complètement. Dans mon cas – au retour de vacances à Venise - j’ai eu du mal à comprendre que je pouvais voyager sans protection mais que je devais ensuite être confiné à domicile. Il s’agit plus d’un problème d’image que de santé publique. Dans mon service actuel, dont les effectifs sont importants bien qu’insuffisants, mes 7 jours de quarantaine n’ont pas désorganisé les soins. Dans de plus petites unités, les médecins sont confrontés à un problème moral : pourquoi être évincé des soins alors que les collègues sont surchargés ? Moi je me suis rasé la barbe (pour que le masque tienne en place) et j’ai repris le travail dès que possible ».
Stress post-traumatique
Au regard de l’étude du Lancet, l’impact psychologique est criant. Ainsi, des soignants mis à l’écart pendant 9 jours au moment du SRAS évoquent des thématiques qui s’inscrivent dans des syndromes de stress post-traumatique : épuisement physique, détachement émotionnel par rapport aux proches, anxiété dans la prise en charge de patients fébriles, irritabilité, insomnie, mauvaise concentration, difficulté à prendre des décisions thérapeutiques, performances limitées au travail, réticences à travailler et certains ont même imaginé changer de métier. Une autre étude menée chez des infirmiers et médecins montre que même 3 ans après la quarantaine les signes de stress post-traumatique persistent, même s’ils sont amoindris.
Dans leur vie personnelle, les soignants éloignés de leur hôpital pour cause de contact avec des patients atteints de SRAS ont rapporté des sentiments tels que la peur, la nervosité, la tristesse et la culpabilité d’être vivants alors que certains de leurs collègues étaient malades ou décédés.
Même à distance de l’épisode d’une quarantaine de 9 jours au moment du SRAS, plus de la moitié des soignants garde une peur de prendre en charge des patients fébriles et atteints de toux, 26 % ont peur de rester trop longtemps dans un lieu clos avec un patient et 24 % craignent les foules. S’ils ont en majorité gardé la bonne habitude de se laver les mains très fréquemment, ils sont aussi beaucoup plus nombreux à chercher un réconfort dans l’alcool ou les médicaments après leur journée de travail.
Changer de métier pour mettre la famille à l’abri
Qui sont les soignants les plus à risque de séquelles ? Les plus jeunes, les moins diplômés, ceux qui avaient déjà eu des problèmes d’anxiété ou de dépression, ceux qui ont vécu la période comme une stigmatisation ou une frustration (de ne pas être sur le terrain à aider les collègues). Beaucoup parlent de la peur de la maladie, car l’éviction était soit liée à un risque de développer des symptômes, soit à une classification comme maladie « légère ». Dans plusieurs études, le manque d’équipement (masques, gants et thermomètres) mis à la disposition des soignants était un facteur de stress, tout comme le manque d’informations sur les nouveaux traitements. Par ailleurs, même si certains médecins et infirmiers étaient partiellement payés pendant leur isolement, la question des pertes financières était un facteur supplémentaire d’angoisse.
Enfin, dans le cas de soignants ayant pris en charge des patients Ebola, la quarantaine a créé des tensions familiales, les autres membres de la famille estimant que le métier était trop dangereux pour pouvoir continuer à être pratiqué.
Brooks S, Webster R, Smith L et coll. The psychological impact of quarantine and how to reduce it : rapid review of the evidence. The Lancet 26 février 2020
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