Il faut prendre des « mesures immédiates et fortes » pour affronter la crise de la pédiatrie, a annoncé ce mercredi soir François Braun, lors d’une conférence de presse, s'employant à répondre à l'exaspération des pédiatres hospitaliers.
Le ministre a annoncé la prolongation des mesures estivales censées soulager les services hospitaliers – « recours à la régulation médicale, aides à la médecine de ville, simplification de l’exercice ». Tout ce qui a fonctionné cet été sera prorogé « avec un focus très particulier sur la pédiatrie », a assuré le ministre. Surtout, pour stopper l’hémorragie, le gouvernement a annoncé le doublement de la rémunération des heures de nuit pour l'ensemble des personnels de l'hôpital, jusqu’au 31 mars, afin de « reconnaître l'engagement des professionnels » et « la pénibilité du travail de nuit ». Et pour les médecins, cela signifie – comme cet été – la majoration de 50 % des gardes de nuit.
Prime de soins critiques généralisée
En outre, tous les soignants travaillant dans les services de soins critiques (réanimation et soins continus) bénéficieront de la prime de soins critiques mise en place durant la période Covid. Jusqu’à présent, « les infirmières puéricultrices, les aides puéricultrices et les autres professionnels de santé qui n’étaient pas des infirmières en avaient été exclus », a-t-il précisé. L'octroi de cette prime à ces professionnelles des services pédiatriques était l'une des revendications portées par les responsables des services de réa pédiatriques.
Ces mesures sont estimées à 400 millions d’euros. Le cabinet de François Braun a précisé par la suite que ce montant engloberait l'enveloppe de 150 millions d'euros déjà promise en octobre par le gouvernement pour soutenir les services en tension de l'hôpital. Par ailleurs, des Assises nationales de la pédiatrie prévues au printemps 2023 doivent permettre l'élaboration de la feuille de route du secteur pour les années à venir, a encore expliqué le ministre.
Augmentation de la mortalité pédiatrique
Quelques heures plus tôt, à quelques mètres de l’entrée principale de l’hôpital Necker-enfants malades (Paris), plusieurs représentants du collectif de pédiatrie alertaient à nouveau sur « la situation critique de soins en pédiatrie et la mise en danger quotidien des enfants », selon les mots de la Dr Mélodie Aubart (AP-HP). La neuropédiatre et une dizaine de médecins du secteur se sont rendus ensuite en délégation à l’Élysée pour remettre leur lettre ouverte signée par plus 7 000 soignants en pédiatrie.
Le collectif souhaite que le président de la République « reconnaisse la responsabilité de l’État dans la crise que nous traversons », précise la pédiatre. Selon elle, ce sont les soignants qui endossent les responsabilités « alors que cela devrait être l’État, car il ne nous donne pas les moyens de soigner correctement les enfants ». Pour ce même collectif, les tutelles doivent reconnaître officiellement qu’il existe une perte de chance pour les enfants « comme en atteste l’augmentation de la mortalité pédiatrique en France depuis trois ans ».
Face aux journalistes, la Dr Mélodie Aubart a pointé du doigt l’hôpital Necker. « Derrière moi, il y a une dizaine d’enfants hospitalisés dans des boxes d’urgence et des couloirs de réanimation », sans compter ceux qui sont transférés à plusieurs centaines de km de chez eux. Raison pour laquelle « les soignants rentrent tous les jours en ayant l'impression d'avoir mal fait leur travail », se désole la neuropédiatre.
François Braun attaqué
La délégation a quitté Necker pour se rendre jusqu’à l’Élysée. Sur le chemin, la Dr Julie Starck (AP-HP) confie au « Quotidien » que les professionnels « ne peuvent plus porter seuls la responsabilité des catastrophes passées et à venir ». Selon la pédiatre, la crise n’est pas liée à l’épidémie de bronchiolite et à l’afflux de patients aux urgences, « comme l’a prétendu François Braun ». Elle s’explique d'abord par le « manque de personnels soignants qui a abouti à la fermeture de 15 à 20 % de lits ».
La dégradation des conditions de travail en pédiatrie est sur toutes les lèvres, ce qui fait craindre des départs massifs. En 4e année d’internat, Emma Charpentier considère avec scepticisme son avenir professionnel. Après un stage en réanimation adulte, elle démarre aujourd’hui un autre en pédiatrie à Necker. Membre de l’Association des juniors en pédiatrie (AJD), elle a sondé les internes de la « spé » qui jugent que « les conditions de travail à l’hôpital public ne leur permettent plus de faire correctement leur métier ». Beaucoup auraient « la fibre hospitalière » mais s’inquiètent « de voir bientôt l’hôpital s’écrouler ».
La délégation écoutée
La délégation a été reçue par une conseillère d’Emmanuel Macron, les représentants du collectif ayant le sentiment au moins d'avoir été « écoutés ». La Pr Isabelle Desguerre, chef de service à l’hôpital Necker, a fait valoir que la crise actuelle était avant tout « un problème de santé publique qui ne relevait pas simplement d’un ministre à qui on donne un cadeau pourri, mais de la responsabilité de l’État ».
Selon la neuro-pédiatre, si la situation continue de s’aggraver, « on sera le bonnet d’âne de la pédiatrie européenne en termes de soins ». Aujourd’hui, « des enfants n’ont pas été soignés comme ils auraient dû l’être, faute d’avoir été hospitalisés dans de bonnes conditions au bon endroit », juge-t-elle. Certains vont « peut-être mourir si rien ne change », alerte la Pr Desguerre avec gravité. « On ne fera pas porter la culpabilité aux médecins et soignants qui ont prévenu l’État français qu’on ne leur donnait pas les moyens de travailler. »
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