La santé est un « service dispensé par des femmes dans un secteur dirigé par des hommes », concédait l’Organisation mondiale de la santé en 2019, dans une formule éloquente sur les inégalités de genre.
« Les femmes ne peuvent pas devenir chirurgiennes », « être mère l’empêchera d'avoir un poste de PU-PH », « une femme à l'hôpital c’est soit une infirmière soit une secrétaire » : dans le monde médical, les clichés sexistes ont toujours la vie dure.
L'Ordre, forteresse masculine
Et alors que la féminisation de la profession ne se dément pas – la moitié des confrères sont désormais des consœurs – la discrimination et les inégalités de genre subsistent. Dans une enquête de 2018 auprès de 3 000 médecins hospitaliers, sept femmes sur dix affirmaient qu’elles auraient fait une carrière différente si elles avaient été un homme. Une médecin femme sur trois serait victime de discrimination liée à sa grossesse, selon une enquête publiée par Action praticiens hôpital (APH).
La sphère médicale est régulièrement décriée pour son manque de parité dans ses principales représentations. « En 2019, la Cour des comptes avait épinglé le conseil national de l’Ordre des médecins pour son manque terrible de femmes, a illustré Émilie Fabre, chargée de mission au sein du collectif Femmes de Santé, lors des premiers états généraux organisés par ce think tank en décembre. Seuls 10 % des conseillers ordinaux sont des femmes ! ».
À l’Ordre, dans les postes hospitalo-universitaires ou en médecine de ville, le constat reste le même. « Plus on monte dans la hiérarchie et plus la proportion de femmes médecins baisse », insiste Émilie Fabre. Le collectif Femmes de santé, qui réunit plus de 1 500 femmes médecins, infirmières, issues des labos pharmaceutiques, du monde industriel ou des directions hospitalières, entend promouvoir l’égalité femmes-hommes à tous les étages du système de santé, grâce notamment à la mise en avant des actions portées par ces femmes et à une visibilité accrue des expertes.
Des revenus de 30 à 40 % moindres
Si les inégalités de rémunération sont bien documentées dans le monde de l’entreprise, la médecine n’est pas épargnée. Ainsi, les femmes spécialistes qui exercent en libéral gagneraient en moyenne 40 % de moins que leurs confrères masculins – et l'écart est de 30 % chez les généralistes (Insee, 2015). « C'est effrayant, s’insurge Emmanuelle Pierga, directrice marketing de l’entreprise de télémédecine Medin+. Comment peut-on accepter cette différence de rémunération entre les hommes et les femmes ? ».
Les causes sont multiples. Le temps partiel est beaucoup plus fréquent chez les consœurs et leur volume d’activité est en moyenne de 25 % inférieur à celui d’un homme. Le poids des tâches domestiques – qui incombent encore trop souvent aux femmes – n'est pas étranger à cette situation inégalitaire. « 35 % des praticiennes estiment avoir modifié leur activité professionnelle pour des raisons familiales, contre 22 % des hommes », précise Émilie Fabre. En 2009, l’Insee précisait que les femmes libérales « se répartissent différemment des hommes entre les spécialités, ces derniers étant en effet plus nombreux au sein des spécialités les plus rémunératrices ». On recense par exemple un tiers de femmes seulement parmi les disciplines chirurgicales (lire encadré).
Plafond de verre
Si, à poste égal, il n'y a pas de différence salariale à l’hôpital public, les progressions de carrières divergent fortement. Alors qu’elles représentent la moitié des praticiens en établissement, seul 22 % des PU-PH sont des femmes, selon les données du Centre national de gestion (CNG). « C’est un plafond de verre, une barrière invisible qui sépare les femmes de la haute hiérarchie en santé », détaille Émilie Fabre. En France, il n’y a qu’une seule femme professeure d’urologie, nommée il y a moins d’un an. Et même dans les disciplines « paritaires » en termes d'effectifs totaux, l’écart se creuse toujours lorsque l’on atteint les sphères supérieures. Aussi, si la moitié des pneumologues sont des femmes, cette proportion chute à 14 % pour les PU-PH.
Cette distorsion est-elle le reflet de la pyramide des âges ? Les femmes étant beaucoup plus nombreuses dans les jeunes générations médicales que dans les plus anciennes, il semble logique qu'elles soient encore minoritaires dans les échelons supérieurs. Mais pas seulement : « Il y a 15 % d’écart entre le nombre de candidates à devenir PU-PH et le nombre de médecins retenues », souligne Émilie Fabre.
Visibilité des expertes
Pour donner un coup de pied dans la fourmilière, quatre ateliers d’une vingtaine de participantes ont permis de réfléchir à des solutions concrètes lors du colloque Femmes de santé mi-décembre. « À l’appui de ces éléments, nous publierons un cahier des états généraux », précise Alice de Maximy, fondatrice de Femmes de Santé.
Parmi les propositions pour lutter contre les discriminations de genre, beaucoup sont liées à la vie de famille : améliorer le congé paternité ou proposer des gardes d’enfants facilitées par exemple. « Lorsque j’étais DRH, nous avions passé toutes les réunions avec les médecins de la clinique du soir au midi, pour mieux coller avec l'agenda de vie de famille », témoigne Laurence Volmier, directrice du recrutement pour le groupe de cliniques privées Vivalto Santé.
Les participantes recommandent de rendre publiques toutes les promotions accordées aux hommes dans les établissements de santé et de mettre en place des formations obligatoires en égalité des genres. « Je crois qu’on a du travail pour les 20 prochaines années ! », se réjouit Alice de Maximy.
Une autre priorité consiste à favoriser le compagnonnage et la sororité, en mettant en avant les carrières féminines à succès ou des programmes de parrainage. Une démarche de visibilité qui passe par l’augmentation de la médiatisation des femmes en tant qu’expertes en santé. À titre d’exemple, pendant le premier confinement, seuls 27 % des médecins interrogés dans les médias étaient des femmes, selon le CSA.
Trop absentes des congrès
Certaines ont décidé de prendre à bras-le-corps la question de la représentativité des femmes. C’est le cas de la Dr Catherine Albou-Ganem, ophtalmologiste à Paris, qui lancera en juin prochain le premier congrès d’ophtalmologie entièrement dirigée par des femmes. À cet effet, elle a créé la société savante « SOfem » dont le conseil d’administration est composé d’une vingtaine de spécialistes féminines. « Je suis partie d’un constat simple : lorsque je participais à des congrès scientifiques, j’étais trop souvent la seule femme sur le podium », souffle la spécialiste. Alors que 52 % des ophtalmos en France sont des femmes, « moins de 5 % d’entre elles interviennent en congrès, ce n’est pas normal ! ».
Autocensure ou manque de temps lié aux tâches familiales, les causes de cette désertion sont multiples. Pourtant, « participer à des congrès m'a énormément enrichie d’un point de vue personnel et professionnel », insiste la Dr Albou-Ganem. Pour mettre le pied à l’étrier des femmes ophtalmos, SOfem entend proposer du mentoring, des formations à la présentation en public ou à la publication scientifique. Cette société savante 100 % féminine « est une première en Europe », souligne sa créatrice, « et les hommes sont évidemment les bienvenus ! ».
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