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IL EST ASSEZ FRÉQUENT de présenter l’hôpital public comme une victime sans ressources, esseulée dans un monde ultra-concurrentiel et capitaliste. Telle Jeanne d’Arc, l’hôpital public serait sur le bûcher, fier et digne, mais victime sacrificielle de ce que l’on a coutume d’appeler la privatisation du service public.
Mais cela est faux, malheureusement… L’hôpital est en surcapacité et c’est ce qui le tue à petit feu.
Quel est le constat ? Cette surcapacité est d’abord patrimoniale (3 millions de mètres carrés de surfaces seulement hospitalières pour l’AP-HP – on exclut donc dans ce chiffre les logements, autres musées et fondations…). L’hôpital s’est étendu comme une pieuvre sur le territoire français, sans se soucier des redondances d’activité et d’investissement. Rappelons qu’il y a plus d’hôpitaux en France qu’aux États-Unis… Par ailleurs, construire des murs est une chose, les entretenir est un coût. Or aujourd’hui, les hôpitaux et surtout les CHU n’ont plus les moyens d’entretenir leur patrimoine (le plus souvent classé monument historique…).
Inflation du nombre de cadres de santé.
Il y a également une surcapacité d’effectifs. Elle concerne surtout les CHU qui présentent des coûts de structure en termes d’effectifs administratifs qui vont du simple au double par rapport aux hôpitaux généraux et aux établissements du privé non lucratif et du privé commercial. Cela est inexplicable. Les effectifs administratifs ne peuvent pas suivre de manière linéaire, voire exponentielle, les augmentations d’activité. Cette logique est absurde.
Par ailleurs, on a assisté à une inflation du nombre de cadres de santé, ces vingt dernières années, que rien ne justifie sur le plan stratégique et médicoéconomique. Sous couvert d’un tropisme subit pour les théories du « new public management », l’hôpital public s’est cru dans l’obligation de pondre des managers de services soignants sans réfléchir sur ses besoins réels…
Désastreuse paralysie.
Enfin, la surcapacité se matérialise aussi en terme d’acteurs de la gouvernance hospitalière. Au-delà du coût, qui n’est pas le plus aberrant du système, c’est surtout la paralysie qu’il génère qui est regrettable, pour ne pas dire désastreuse. On peut distinguer la surcapacité institutionnelle et la surcapacité managériale à l’hôpital public. Surcapacité institutionnelle, car la gestion des établissements de santé passe aujourd’hui entre les mains de trop nombreux acteurs qui se ralentissent, se court-circuitent et pire encore se contredisent… Tout est pensé pour qu’aucun projet structurant ne puisse sortir.
Quant à la surcapacité managériale à l’hôpital public, elle vient essentiellement d’un manque de courage… Au lieu de dire que les dirigeants dirigent et que les médecins soignent, on a construit un système de gouvernance où tout le monde dirige… mais où personne ne gouverne.
Alors que faire ? Car si la critique est rare dans le monde de l’hôpital public, elle est stérile si elle n’est pas suivie de propositions. Je me propose d’en présenter quelques-unes.
Rigidité statutaire.
• Concernant la surcapacité patrimoniale, je ne vois pas d’autres solutions, notamment dans les grands CHU (type AP-HP), que de fermer un établissement sur deux. Cela est nécessaire pour équilibrer l’offre de soins, mais également en terme de sécurité, puisqu’il n’y a plus d’argent pour entretenir les bâtiments. La fermeture signifie en partie la vente, ce qui pourra générer de la ressource d’investissement, mais pas uniquement… Eu égard au caractère plus souple de la réglementation, de nombreux mètres carrés pourraient être concédés pour construire des maisons de santé, des hôtels hospitaliers ou bien encore des maisons de retraite.
• Concernant la surcapacité en termes d’effectifs et notamment d’effectifs de structure : les hôpitaux sont dans l’incapacité d’avoir la main sur leur masse salariale, qui représente 80 % de leur budget. Il est donc impossible de déplacer les effectifs en fonction des projets et donc d’avoir une vision stratégique de long terme. Un des freins au pilotage de la masse salariale est naturellement la rigidité du statut de la fonction publique, qu’il faut revoir d’urgence et adapter… car le contexte de la crise actuelle, n’est plus le contexte de la reconstruction de la France de l’après-guerre.
• Concernant la surcapacité en termes d’acteurs de la gouvernance hospitalière… Sur le plan institutionnel, il faut réduire fortement le nombre d’établissements publics qui ne soignent pas. Rappelons que la Cour des comptes a toujours dénoncé la multiplication des établissements publics autonomes, n’y voyant souvent qu’un simple jeu d’écriture, pour démembrer les comptes de l’État. Enfin, et c’est le plus important, il faut sortir le pouvoir médical de l’appareil décisionnel hospitalier public.
Les médecins ont une mission magnifique, et l’ensemble de la société leur en sait gré. Mais ils ne sont que les contributeurs, certes essentiels, d’une chaîne de production qui s’appelle le soin. Tout le monde ne peut diriger l’hôpital, c’est triste sans doute, mais il n’existe aucune organisation efficiente avec deux chefs.
Si aucune décision rapide n’est prise concernant ces trois facteurs, l’hôpital public implosera et donc le système de solidarité nationale qui faisait l’admiration de tous, implosera également.
* Directeur d’hôpital, fondateur du club Génération HPST, co-président avec le Pr Peretti du think tank Hôpital Responsable
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