Le médecin gestionnaire de sa clinique a-t-il vécu ? La question mérite d’être posée, au vu des bouleversements qui ont transformé le secteur hospitalier privé sous l’influence des fonds d’investissements. Le corps médical, sur un sujet si sensible, quasi affectif, n’est pas unanime. Témoignages contrastés de praticiens et de patrons de groupes nationaux.
UNE CLINIQUE française sur trois est indépendante. C’est moins qu’hier, mais plus que demain : le mouvement de concentration engagé depuis 20 ans se poursuit. Plusieurs groupes nationaux, puis régionaux, ont emboîté le pas de la Générale de Santé, et bâti de petits empires (voir iconographie). Fragilisées par leur actionnariat médical éclaté, une centaine de petites cliniques n’échapperont pas au rachat et à la délocalisation.
Équipements de pointe coûteux.
Les groupes apportent une réponse à la complexification du métier. Gestion rigoureuse, démarche qualité, capacité d’investissement... Un radiologue ne peut acheter seul un scanner à 1,5 million d’euros. Construire un établissement de 150 lits coûte 50 millions d’euros : il faut avoir les reins solides. Le Dr Thierry Musset en sait quelque chose. Le bloc superbe qu’il s’est offert avec ses confrères a précipité la vente de la clinique du Ter, dans le Morbihan. Business plan inadapté, déficit : l’engrenage. L’équipe bretonne a vendu les murs au plus offrant, Vitalia. Le Dr Musset n’a pas supporté la pression, il est parti dans un établissement mutualiste. « Vitalia a réduit le personnel, supervisé les achats. En cas de pépin avec un matériel, ça reste pour notre pomme. Quand le pharmacien m’a demandé de justifier mes prescriptions, ça a été la goutte d’eau ».
Les récits de tensions sont légion. À Toulouse, des médecins se plaignent de Capio. L’achat de matériel innovant a été reporté à la clinique des Cèdres, car les objectifs d’activité n’ont pas été atteints. La cadence s’est intensifiée au bloc. À Bordeaux, ce praticien, devenu actionnaire « par hasard » il y a bien longtemps, avoue préférer la médecine à la gestion. La venue de Médi-Partenaires ne l’a guère soulagé, en raison d’une « poussée à l’acte » mal vécue. Le spécialiste reste sur ses gardes, marqué par le passage éphémère - et à ses yeux raté - de Générale de Santé à Bordeaux, il y a 10 ans : « En 48 heures, on nous a contraints à arrêter la chimiothérapie dans une clinique. C’est se moquer complètement des patients ».
Cadence industrielle.
Formé au management à Centrale, le Dr Jean-Marc Coursier tient un discours bien différent. Directeur des relations médicales de Générale de Santé depuis 2011, il est chargé de fédérer les 5 000 praticiens du groupe leader, et d’attirer les jeunes. Alors, il bat les idées reçues en brèche (« Aucun taux de rentabilité minimum n’est exigé »), et met en avant les atouts du groupe : « Chez nous, il n’y a pas de droit d’entrée ». L’avenir, pense-t-il, est à la concentration. « Un groupe peut trouver des synergies territoriales et répartir le déficit de quelques uns ».
Il se trouve, parmi les réticents, des médecins qui changent d’avis sur les groupes. C’est le cas du Dr Jean-Luc Rochette, radiologue et président des cliniques de Limoges, dont Vedici est actionnaire minoritaire. « Avant, on ne sortait jamais de nos petites cliniques. Quand Vedici est arrivé, on a eu peur de perdre notre liberté. Puis on a appris à se connaître. Le bloc fonctionne de façon quasi industrielle, les orthopédistes posent tous les mêmes prothèses. Pour la première fois, cette rationalisation débouchera peut-être sur des dividendes pour les médecins, restés actionnaires à 60 % ». Le passage sous bannière Vedici est récent, et le Dr Rochette avoue ne pas connaître les exigences financières du groupe. « Je découvrirai ça lors du prochain bilan ».
« Opposer les modèles est réducteur, affirme le président de Vedici, Jérôme Nouzarède. Les médecins sont majoritaires au sein du conseil d’administration de nos cliniques. Chez nous, il n’existe pas de contrat groupe ». Quid de la liberté de prescription ? Chez Vitalia, elle est totale. Quoiqu’encadrée : « En trois ans, nous sommes passés de 2 000 à 300 fournisseurs, expose le président, Christian Le Dorze. Les médecins du groupe ont participé au référencement. Cela ne pose pas de problème pour la plupart des médicaments, à l’exception des prothèses orthopédiques et oculaires. Il y a là un gisement d’économie important, mais les médecins veulent garder leurs fournisseurs, ce qu’ils font. Un groupe ne peut pas imposer la prescription ».
Un fonds d’investissement médical?
La Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), en tant que maison mère, se garde bien de privilégier un modèle plutôt qu’un autre. Son président, Jean-Loup Durousset, souligne l’influence positive des fonds d’investissement tels que Blackstone, APAX ou Bridge Point, qui, à coup de dizaines de millions, ont restructuré le secteur. Les jeunes n’ont certes plus envie d’investir et de s’endetter comme leurs aînés, mais si la cœliochirurgie a percé dans le privé, c’est bien grâce aux médecins. Aussi le président de la FHP juge-t-il fondamental que le corps médical reste aux manettes. Il cite en exemple les cliniques de Lille et de Reims, « remarquablement gérées ». À ses yeux, l’actionnariat médical doit se réinventer. « Il faudrait créer un fonds d’investissement médical assurant une rentabilité tout au long de la carrière. Ce fonds investirait dans des cliniques sur le long terme. En contrepartie, le médecin actionnaire n’aurait aucun pouvoir local. Il serait un parmi des milliers. C’est un changement important : le médecin doit accepter d’investir sans décider de ses plages opératoires. L’actionnaire d’Air France, lui, ne voyage pas dans le cockpit! ».
Le Dr Jean-Paul Ortiz, président du Syndicat national des médecins de l’hospitalisation privée (SYMHOP), admet que les temps ont changé. « Je ne sais pas faire le DRH ni analyser un compte d’exploitation, résume-t-il. Il n’y a pas de machine arrière possible pour les cliniques reprises par des fonds. Ce qu’il faut, c’est renforcer les pouvoirs de la CME, afin de trouver un équilibre entre l’éthique et la contrainte économique ».
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