C’EST L’HISTOIRE de la lente et terrible agonie d’un très vieil homme. Pendant trois mois, au fil des pages, « ses dernières racines se désancrent une à une ». À son chevet, son petit-fils, Patrick Autréaux, qui, jour et nuit, le soigne, prodiguant des gestes et des paroles d’une infinie tendresse. On est tout d’abord dans la clinique des soins palliatifs : « Soigner, écrit le narrateur-médecin, c’est-à-dire soigner jusqu’au bout, c’est traverser un champ dont on ne connaît ni l’état du sol, ni la nature des herbes. C’est accepter les fleurs d’orties, la gadoue putride, les entorses et aussi les odeurs fraîches, l’ombre piquetée de soleil d’un arbre solitaire. C’est fatigant et dur. On se fait mal au dos, on en a marre, on voudrait que ça se termine vite, on se le reproche, on essaie de sourire et de ne pas se presser, et on pleure en cachette après l’avoir entendu appeler ce nom d’enfant que lui seul utilisait. »
Comme des papillons rares.
Le lecteur médecin ne sera donc pas dépaysé, avec l’évocation de l’hôpital et du service des urgences, ses odeurs nauséabondes, ses dermatoses répugnantes, crachats et coups, regards fermés, esprits tordus, insultes ou familiarités. Mais sous la plume de Patrick Autréaux, la poésie n’est jamais très loin de la médecine, la première transfigurant les mots banals de la seconde : cellule, nerf, tube, flux, vaisseau mêlent la mer et le sang, les grands fonds et l’horizon des nouveaux mondes, les mots techniques embellissent les descriptions anatomiques ou physiologiques : trochanter, défilé, scalène ou symphyse. « Lorsqu’on commence à fréquenter l’hôpital, écrit encore Patrick Autréaux, certains symptômes et maladies paraissent comme des papillons rares (...) Ces étrangetés fascinent peut-être aussi parce qu’elles signent la présence de cet invisible qu’on a tôt fait d’assimiler au Mal, saloperie à respecter ou à combattre. »
Avec « Dans la vallée de larmes »**, son précédent récit, l’auteur racontait comment, dans sa vie à lui, ce mal avait pris la forme d’un lymphome digestif. « Dépecé de l’intérieur », il était passé de l’autre côté, du côté du médecin à celui du malade, et presque de l’autre côté tout court, emmailloté qu’il était peu à peu dans les langes de la mort. Cheminant vers son anéantissement, il détaillait alors son apprentissage de la mort, un apprentissage qui, au final, grâce tout à la fois à la médecine et à la thérapie du langage, faisait éclater la bulle de la maladie et ouvrait sur une seconde naissance.
La figure du grand père totémique n’était peut-être pas étrangère à ce dénouement, on le découvre ici. Elle est présente tout au long du récit, depuis l’enfance de Patrick Autréaux. Elle plane sur sa vocation de médecin, le stimule dans son amour de la poésie et, pendant l’épreuve du cancer, lui insuffle une spiritualité contemplative et rebelle à la fois. Le vieil homme, avec le grand âge, s’était débarrassé de presque tout, n’ayant plus gardé que la photo de son épouse décédée, un fauteuil et quelques livres. Ce dénuement rejoint celui d’un auteur américain du XIXe siècle, Henry David Thoreau, qu’Autréaux porte aux nues, un aventurier égotiste et hautain qui avait cessé de courir le monde pour s’installer en solitaire au bord de l’étang où il avait bâti un cabanon. « Il y connut le nu de la vie pour ne pas découvrir au moment de mourir qu’il n’aurait pas vécu. ».
C’est un peu ce qui arrive avec son grand-père. Patrick Autréaux raconte comment, dans ses derniers instants, il se débat, avec une sorte de beauté farouche, jusqu’au bout. À la fin, cet effroyable combat distille un secret. « Ni le secret de l’art de guérir, ni celui de l’écriture », celui du mystère intime de la vie.
* Gallimard, 94 p., 12 euros.
** Gallimard, 2009, voir « le Quotidien » du 27 août 2009.
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