Les chiffres sont implacables. Bon an mal an, les internes en médecine travaillent en moyenne 60 heures par semaine, comme l'ont révélé deux enquêtes menées par leur intersyndicat national (ISNI) en 2012 puis en 2015.
Depuis 1993, une directive européenne encadre pourtant le nombre d'heures travaillées des salariés des États membres. Et cette réglementation devrait s'appliquer, sans aucune exception, à l'hôpital public.
Pourquoi la France peine-t-elle toujours à entrer dans les clous, au point d'avoir été mise en demeure par Bruxelles pour non-respect du droit européen ? C'est à cette question que tente de répondre le Dr Mickael Benzaqui, ancien porte-parole et président de l'ISNI, dans « Ce que l'Europe a fait pour les internes, la longue marche vers la réduction du temps de travail des jeunes médecins »*.
Aujourd'hui conseiller médical à la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile (FNEHAD), le médecin de santé publique a consacré sa thèse à ce sujet. « Le temps de travail a été un thème central pendant mes mandats syndicaux, commente Mickael Benzaqui, j'ai voulu voir si cette problématique avait mobilisé les internes par le passé et comment l'Europe avait pesé sur ce dossier. »
Perfide Albion
De la naissance de l'internat à l'orée du XIXe siècle et jusqu'en 1964, le temps de travail n'est l'objet d'aucun encadrement. Un premier décret de 1983 fixe à 11 demi-journées par semaine les obligations normales de jour du « praticien en formation spécialisée » en plus des gardes et astreintes.
Mais ces demi-journées recouvrent des réalités bien différentes. Il faudra attendre encore dix ans pour qu'une directive européenne fixe pour la première fois une barrière à 48 heures hebdomadaires, réglementation qui tardera à s'appliquer. « Le Royaume-Uni a bloqué pendant une quinzaine d'années l'application de la réduction du temps de travail aux internes de la communauté européenne », analyse le Dr Benzaqui.
Le sujet s'impose pourtant. En 1999 et 2000, les internes français déposent un préavis de grève des gardes pour obtenir la rémunération systématique des gardes et la mise en place d'un repos de sécurité. En septembre 2002, quelques semaines après un accident de la route qui a coûté la vie à deux internes du CH de Dunkerque au retour d'une garde, le repos de sécurité est fixé à 11 heures minimum consécutives.
Internes surinvestis
Malgré ces avancées sur le papier, les établissements (et les chefs de service) respectent toujours peu la loi. « Pour les médecins hospitaliers, il s'agit d'une lubie de la jeune génération qui ne souhaite plus travailler comme eux », explique Mickael Benzaqui.
Paradoxe : ceux qui font le plus obstacle à la bonne application des horaires et des plannings sont parfois les internes eux-mêmes ! Pour obtenir un poste de chef de clinique, certains se surinvestissent dans leur exercice hospitalier, sans compter leurs heures. En 2011, des textes nationaux limitent à nouveau à 48 heures la durée légale d'exercice. Mais l'enquête nationale de l'ISNI, en juin 2012, à l'origine de la mise en demeure de la France un an plus tard, démontre combien les mentalités tardent à évoluer. Un interne sur cinq assure ne pas pouvoir prendre de repos de sécurité après une garde.
La France ajuste une nouvelle fois sa réglementation en 2015 pour se mettre en conformité avec le droit européen. Dorénavant, l'interne est tenu de réaliser 8 demi-journées de stage et une demi-journée de formation par semaine ainsi qu'une demi-journée de travail personnel qui demeure... une « obligation de service exclue du temps de travail ». Dans chaque service, des tableaux nominatifs doivent garantir l'application de la réforme. Malgré l'entrée en vigueur de ces nouveaux rythmes au 1er mai 2015 et le classement par Bruxelles de sa procédure, beaucoup de chemin reste à parcourir. « Il y a fort à parier que ce changement culturel ne s'effectuera pas en quelques mois mais en plusieurs années », conclut Mickael Benzaqui. Le combat continue.
*éditions Médicilline, 168 pages, 13,90 €
Padhue : Yannick Neuder promet de transformer les EVC en deux temps
À Niort, l’hôpital soigne aussi les maux de la planète
Embolie aux urgences psychiatriques : et maintenant, que fait-on ?
« Les Flying Doctors », solution de haut-vol pour l’accès aux soins en Bourgogne