LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - Qelles leçons tirez-vous des données épidémiologiques de cet été ?
DIDIER HOUSSIN - À ce stade, d’évidence, la circulation du virus est active, voire très active dans l’hémisphère sud, comme en témoigne la situation en Argentine, au Brésil et maintenant en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie et, plus récemment, à la Réunion. La crainte que nous avions exprimée à cet égard au printemps se justifie actuellement, c’est incontestable.
Pour autant, observe-t-on une gravité accrue de la virulence ?
À ma connaissance, rien ne permet de l’affirmer. Rien ne permet non plus de l’écarter. Nous n’avons pas le sentiment d’une forte aggravation, non plus que d’une évolution dans le sens d’une plus grande bénignité. Nous devons rester extrêmement vigilants sur cette question difficile à apprécier. C’est pourquoi nous allons interroger l’ensemble des chercheurs et nous avons décidé de les réunir en septembre à Paris pour évaluer toutes les réponses scientifiques, dans les dimensions virologique, médicale, épidémiologique, ainsi qu’au plan de la perception des risques.
Une étude* estime que la mortalité directement liée au virus A(H1N1) serait 100 fois supérieure à celle du virus de la grippe saisonnière ; faut-il s’en inquiéter ?
Je préfère me référer aux publications qui comptent, c’est-à-dire celles qui font état de données analysées du point de vue clinique ; en particulier,une étude publiée dans « Eurosurveillance » le 20 août par une équipe de l’Institut de veille sanitaire qui analyse tous les cas où il y a eu mortalité (voir ci-dessous). C’est la première analyse agrégée parmi toutes les publications en termes de mortalité. Or, il faut bien reconnaître que nos connaissances sur ce sujet restent limitées. Aujourd’hui, la seule leçon à tirer de toutes les études, c’est que la vigilance doit être notre règle.
Le mois d’août vous a-t-il permis d’avancer dans l’élaboration du plan de vaccination ?
En juin, nous avions arrêté la seule décision urgente à ce stade, c’est-à-dire l’acquisition des vaccins auprès des fabricants. Le mois d’août a permis d’affiner beaucoup d’éléments en termes de procédures et de logistique, même si d’importantes décisions n’ont pas encore été prises. Si ces choix ne sont pas encore définitifs, nous sommes en train de les préparer : comment sera possible l’organisation de la vaccination, selon les différents scénarios. En application de la circulaire que leur ont adressée les ministres de l’Intérieur et de la Santé, les préfets sont en train d’élaborer des plans départementaux de vaccination. Compte tenu de ce que l’on sait de l’épidémie et du développement des vaccins, actuellement en cours d’essais cliniques, nous travaillons pour déterminer les groupes prioritaires pour la vaccination.
Au-delà des procédures, la question de la priorisation des groupes à risques est toujours posée ; la ministre a saisi le Haut Comité de santé publiqu,e qui doit nous fournir une première indication au début de ce mois.
Évidemment d’autres éclairages vont être portés, en particulier en étudiant les décisions prises en la matière par nos voisins. Le plan sera dévoilé à la mi-septembre, de manière à être activé, si nécessaire, à la fin septembre.
Les médecins seront-ils les premiers vaccinés ?
Ils sont clairement identifiés comme des professionnels particulièrement exposés au virus parmi les groupes susceptibles de se voir proposer en premier la vaccination. Seront-Ils les tout premiers ? C’est actuellement discuté avec les groupes de personnes susceptibles de souffrir gravement de la grippe.
Et les femmes enceintes ?
À leur sujet, la question est de savoir si les effets des vaccins chez elles seront suffisamment documentés ; disposerons-nous des vaccins les mieux adaptées à leur cas ? Nous pensons aussi à toutes les personnes souffrant de maladies graves qui les expose plus que d’autres aux effets de la grippe : insuffisance respiratoire, diabète sérieux, etc..
Pour les enfants très jeunes, la problématique est la même : en saura-t-on assez sur les vaccins pour pouvoir leur proposer, à eux et à leurs parents, cette vaccination ?
Quoi qu’il en soit, cette stratégie devra s’articuler avec la vaccination contre la grippe saisonnière qui sera certainement lancée la première. Elle concernera les personnes âgées de plus de 65 ans, les malades en affection de longue durée et beaucoup des professionnels de santé qui sont dans les institutions médico-sociales. Notre idée est de faire au plus vite et au mieux en termes de couverture vaccinale, à partir de la fin septembre.
Où en est-on du calendrier vaccinal contre la grippe A ?
Nous n’en savons pas encore assez sur les calendriers de livraison, qui sont dépendants des industriels, des rendements de leurs productions, des essais cliniques et des procédures réglementaires. La date des premiers vaccins reste encore une zone d’incertitude.
D’autres professionnels que les médecins ?
La question reste aujourd’hui ouverte. Nous y répondrons en fonction des quantités de vaccin disponible, de l’évolution de l’épidémie elle-même, de son profil de gravité.
Quel bilan tirez-vous du passage de témoins effectué le mois dernier entre l’hôpital et l’ambulatoire pour la prise en charge des syndromes grippaux ?
Il ne s’est pas agi d’un passage de témoins à proprement parler, l’hôpital prenant évidemment en charge les patients dans certaines circonstances, mais d’un élargissement vers l’ambulatoire. Le fait que nous l’ayons effectué de façon anticipée, alors qu’en métropole le virus ne circule pas encore de manière active, aura permis aux organisations de se roder et aux médecins libéraux de s’informer sur le site du ministère qui leur est destiné, de s’inscrire sur DGS urgent, encore insuffisamment connu, et de prendre connaissance des derniers avis d’experts, comme le comité de lutte contre la grippe, sur le bon usage des médicaments antiviraux. Les médecins ont pu aussi participer aux réunions organisées par les préfets dans le cadre des CODAMUPS**. Le lien avec les médecins libéraux et les généralistes doit être extrêmement étroit et continu. Leur mobilisation est capitale, tout le monde en est bien conscient.
Le Dr Chan (OMS) estime que personne ne peut dire si le pire est passé ou s’il est devant nous. Vous partagez cette incertitude ?
Elle a parfaitement résumé la situation, en ce sens que nous devons regarder la réalité en face : l’alerte a été lancée à bon escient, la pandémie est là. On l’avait annoncée dans l’hémisphère sud, elle s’y développe ; elle va vraisemblablement être à l’origine d’une vague épidémique dans l’hémisphère nord à l’automne-hiver 2009-2010. Quand ? Personne ne le sait. Avec quelle intensité et quelle virulence par rapport à la situation actuelle ? Personne ne le sait davantage.
Mieux vaut en faire trop que pas assez ?
Je constate que la mobilisation est forte à tous les échelons, pas seulement dans le champ sanitaire : ministères, collectivités locales, entreprises, services publics. Les médias traitent le sujet avec sérieux et les enquêtes montrent que le public se considère comme aussi bien informé que possible. Tout cela est utile et important. Face à l’épreuve qui se profile, la communication internationale est aussi essentielle, qui permet de mettre en commun nos moyens. Compte tenu des incertitudes qui subsistent, le temps qui nous reste doit être mis à profit pour accélérer encore la préparation. Ensuite, nous affronterons l’épidémie. Enfin, nous tirerons les leçons.
Cet automne sera-t-elle la saison de tous les dangers ?
Non. Le pays se prépare depuis quatre ans à une pandémie grippale. Depuis l’alerte donnée en avril au Mexique, nous avons pris d’importantes décisions en juin, juillet et août. Nous agissons dans un continuum : stratégie vaccinale, traitements antiviraux, mobilisation des professionnels, médecins et pharmaciens, organisation socio-économique. Il faut tenir
* PLoS Currents : Influenza, édition en ligne datée du 24 août 2009 (« le Quotidien » du 27).
** Comités départementaux de l’aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires.
Exergues:
L’ENSEMBLE DES CHERCHEURS RÉUNIS À PARIS EN SEPTEMBRE
LA MOBILISATION DES MÉDECINS LIBÉRAUX EST CAPITALE
ACCÉLÉRER ENCORE LA PRÉPARATION
Padhue : Yannick Neuder promet de transformer les EVC en deux temps
À Niort, l’hôpital soigne aussi les maux de la planète
Embolie aux urgences psychiatriques : et maintenant, que fait-on ?
« Les Flying Doctors », solution de haut-vol pour l’accès aux soins en Bourgogne