Le président de l’agglomération Guingamp-Paimpol, Vincent Le Meaux, est en colère. Il n’a obtenu aucune réponse de l’exécutif après avoir adressé une lettre à Emmanuel Macron lui demandant de valider l’envoi de médecins cubains dans ce territoire des Côtes-d’Armor. Et l’envoi de tweets au ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux, n’y a rien fait… Pourtant, mi-février, l’agglomération a carrément invité l’ambassadeur de Cuba, qui s’est déclaré aussitôt favorable à expatrier une quarantaine de médecins à Guingamp – des urgentistes et des généralistes en priorité, même si l’hôpital manque aussi d’ophtalmologues, de cardiologues ou d’anesthésistes. Un décret serait nécessaire pour valider la demande de l’élu socialiste.
L’ambassade de Cuba a réagi au quart de tour…
Vincent Le Meaux, président de l’agglomération Guingamp-Paimpol
En tout cas, le coup de com a eu le mérite de mettre en lumière les difficultés chroniques de l’hôpital en matière de ressources médicales. « On ne s’attendait pas à une telle médiatisation ! », admet Samuel Froger, directeur de l’hôpital de Guingamp. Même réaction du Dr Thierry Godeau, président de la conférence nationale des CME de CH : « La ville a réussi un très bon coup de pub. » « C’est aussi un cri d’alarme et de désespoir, nuance Vincent Le Meaux. L’ambassade de Cuba a réagi au quart de tour alors que cela fait cinq ans qu’on attend des réponses concrètes de la tutelle. » Avant la démission du précédent ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, en décembre, une discussion avait été entamée avec son cabinet, restée lettre morte. « Quand nous avons vu que la situation n’avançait pas, nous sommes montés d’un cran et avons cherché des solutions à la place de l’État français », ajoute-t-il. L’explication du recours à des praticiens cubains réside aussi dans la longue tradition de solidarité entre les élus bretons et Cuba via l’association Cuba Coopération France.
“Nous sommes fragiles”
L’opération est partie d’un élu indépendantiste breton, Gaël Roblin. En avril 2023, il interpelle sur Twitter l’ambassadeur cubain, qui lui répond deux heures après. Pour mémoire, la maternité de Guigamp, menacée de fermeture depuis des années, avait obtenu un sursis en 2018. Mais l’ARS a suspendu les accouchements en avril 2023, faute de soignants en nombre suffisant. D’autres hôpitaux proches sont en souffrance. À Lannion et à Carhaix, l’accès aux urgences est régulé la nuit… « À la maternité, il nous manque 2,5 ETP sur quatre gynécologues obstétriciens ! La cardiologie est en flux tendu. Nous sommes fragiles, comme tous les hôpitaux, car nous ne disposons pas d’équipes pléthoriques de spécialistes », détaille le directeur de l’hôpital de Guingamp.
Parmi les défenseurs de la maternité, Yann-Fanch Durand, coprésident du comité de défense de l’hôpital de Guingamp, a aussi été surpris par cette idée de faire appel à des médecins cubains mais se montre pragmatique. « C’était difficile de l’imaginer en Europe… jusqu’à ce que nous découvrions que des médecins cubains étaient en exercice en Calabre, la région la plus pauvre de l’Italie. » Celle-ci a recruté, en mai 2023, près de 500 praticiens cubains de toutes spécialités, qui vont y exercer jusqu’en 2025. En France, des médecins cubains sont intervenus ponctuellement en Martinique ou en Guyane en pleine crise Covid.
Machine à cash ?
Au-delà de l’écho médiatique de cette affaire emblématique, le recrutement de praticiens cubains soulève des questions dans la mesure où ce système est une arme diplomatique et une manne financière pour Cuba. En 2023, 22 632 professionnels de santé étaient répartis dans 57 pays ! Ce programme massif d’expatriation de praticiens lancé dans les années 1960 par Cuba constitue une source très importante de devises pour le pays. Cette « coopération médicale » a rapporté 6,3 milliards de dollars en 2018 et 3,9 milliards en 2020.
Mais sur le terrain, les élus voient plutôt les avantages immédiats de ces renforts. Selon Vincent Le Meaux, les praticiens cubains, déjà très bien formés, seront opérationnels au bout de six mois. Une solution préférable à celle « des médecins mercenaires venus dépouiller l’hôpital public ».
Le directeur du CH, Samuel Froger, insiste toutefois sur le niveau nécessaire de compétences et de maîtrise de la langue française requis pour exercer ainsi que sur les différences de « statuts » susceptibles de créer des tensions entre médecins. « Il faut recruter avec tact et mesure en fonction des besoins. On le voit chez les Padhue, leur formation initiale est très hétérogène », tempère aussi Thierry Godeau.
Interrogé par Le Quotidien, le ministère indique que les médecins cubains, « comme tous les Padhue [praticiens à diplôme hors Union européenne], sont bien sûr les bienvenus », sous réserve de s’engager dans la procédure d’autorisation d’exercice rénovée par la loi Valletoux (autorisation provisoire, sous la responsabilité d’un praticien senior, et engagement à passer les EVC). Pour Vincent Le Meaux, « cela serait un premier pas, même si l’on déqualifie un peu le niveau de compétence de ces médecins ».
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