Au moment de l’embarquement, en ce petit matin frisquet de la fin janvier, elle a tout naturellement pris sa place dans le cockpit à la droite du pilote. Le meilleur endroit pour profiter de la vue durant le vol d’une quarantaine de minutes qui relie l’aéroport de Dijon à celui de Nevers. Quelques instants après le décollage de l’avion à hélices de quatre places, la Dr Inna Dygai-Cochet a la tête dans les nuages. Littéralement. « J’ai beau faire partie de l’aventure des Flying doctors depuis le début, il y a deux ans, je ne me lasse toujours pas de cette vue du ciel et paysages », confie la médecin nucléaire de 52 ans qui vit et exerce à Dijon, au Centre régional de lutte contre le cancer Georges-François Leclerc.
La Dr Dygai-Cochet est une pionnière de ce pont aérien médical bourguignon qui a pris son envol en janvier 2023. Objectif : répondre aux besoins de soins spécialisés en souffrance à Nevers et dans son agglomération. Comment ? En rapprochant les médecins de Dijon des patients nivernais par la voie des airs. « C’est un immense confort de travail, pour nous les journées sont beaucoup moins fatigantes », développe la praticienne dijonnaise qui intervient au centre hospitalier de Nevers deux jours par mois, le jeudi et le vendredi. La Dr Dygai-Cochet parle en connaissance de cause. Elle prenait auparavant le train. « Avec deux heures quarante de trajet, j’étais forcée de venir la veille au soir et de dormir sur place ». Et la voiture ? « Encore pire, il faut compter environ trois heures de route ». Les deux villes ne sont pourtant distantes que de 180 kilomètres, mais les modes de transports terrestres doivent composer avec le massif du Morvan.
Sous-effectif chronique
« Ce long temps de trajet entre Nevers et Dijon, c’est la particularité de notre territoire », résume Denis Thuriot, à l’initiative de cette ligne aérienne médicale qui l’a obligé à jouer de toutes ses casquettes : président-maire de l’Agglomération de Nevers, conseiller régional, président du conseil de surveillance de l’hôpital et du comité syndical de l’aéroport du Grand Nevers et de la Nièvre. Pas le choix : « On nous a oubliés en termes d’aménagement du territoire ! », charge l’élu.
Il a donc bien fallu se montrer innovant pour répondre aux besoins de santé de l’agglomération de Nevers, préfecture d’un département estampillé désert médical. Chirurgie pédiatrique, réanimation, gynécologie-obstétrique… L’hôpital de la ville souffre de sous-effectif chronique. Pas étonnant. Selon les chiffres de l’Ordre, la densité médicale des médecins (inscrits au tableau de l'ordre et en activité totale) est de 200 dans la Nièvre contre 324 en France.
Le 26 janvier 2023, la navette des Flying effectue son premier décollage depuis le tarmac dijonnais. À son bord, une cardiologue, un pneumologue, une spécialiste de chirurgie maxillo-faciale, deux généralistes, un orthopédiste, un gynécologue-obstétricien et une médecin nucléaire donc, la Dr Digay-Cochet. « Ce premier vol a aussi été l’occasion, pour beaucoup d’entre nous, de nous rencontrer. Et ensuite, d’en parler à d’autres confrères », sourit la première de cordée.
Zones de turbulences
Le bouche-à-oreille fonctionne suffisamment pour que le premier bilan de l’expérience soit vécu comme un succès par ses acteurs. Au cours de ces dix-huit mois, 45 vols de trente-cinq minutes avaient ainsi transporté à l’hôpital de Nevers 167 médecins et chirurgiens. Mi-2024, le maire de Nevers, satisfait, a annoncé la reconduction de l’opération avec quelques ajustements. Car l’expérience a traversé plusieurs zones de turbulences. « Un trajet en avion émet 1 500 fois plus de gaz à effet de serre qu'en train », a ainsi attaqué dans la presse Sylvie Dupart-Muzerelle, conseillère municipale écolo (EELV) de Nevers, dénonçant « un coup de com’ ». Comme elle, d’autres acteurs de terrain se sont interrogés non seulement sur le bilan carbone mais aussi sur le coût financier de ces rotations aériennes. D’autant que l’avion de huit places n’est pas plein à chaque vol.
Réponse du maire nivernais : le pont aérien a certes un coût mais il dégage des économies et génère même des recettes pour l’hôpital. « Un passager coûte 670 euros aller-retour » alors qu'un médecin intérimaire peut demander « jusqu’à 3 000 euros la journée », argumente-t-il. De plus, l’hôpital étant pour l’essentiel financé par la tarification à l’activité (T2A), l’arrivée des praticiens dijonnais a contribué à sortir (un peu) du rouge l’établissement (voir encadré), même s’il restait déficitaire de 5,1 millions d’euros, indique le rapport d’activité 2023.
Il n’empêche, c’est en s’appuyant sur un nouveau prestataire, Revolution’ air, que la municipalité et le centre hospitalier nivernais ont annoncé la reprise des navettes du jeudi avec, cette fois deux avions-taxis de quatre places chacun. Double avantage, ils permettent de s’adapter au nombre de passagers programmé le jour J et consomment moins de carburant. La critique sur le bilan carbone n’est manifestement pas tombée dans l’oreille d’un sourd.
Magie du massif de Sancy
De son côté, le Dr Rémi Rochelet, généraliste à SOS Médecins Dijon, ne voit que des avantages à ces rotations. Par ricochet, l’ouverture de la ligne aérienne a en effet permis de créer une antenne de SOS Médecins à Nevers, avec la bénédiction de l’ARS et de la CPAM de la Nièvre. « On a pris ce vol à quelques reprises en 2023 pour faire les démarches avec le centre hospitalier afin de créer un cabinet médical à côté des urgences. Nevers est un désert médical encore plus aride que les autres, en ville comme à l’hôpital », relève le Dr Rochelet. Depuis, 11 des 17 généralistes de l’association dijonnaise y assurent cinq semaines de consultations par an à tour de rôle. Mais ils s’y rendent en voiture ou en train, les finances publiques ne pouvant subventionner les déplacements du secteur privé.
Le Dr Rochelet, lui, continue à voler les jeudis. Il a signé un contrat de praticien contractuel avec l’hôpital de Nevers où il assure, une fois par semaine, les fonctions de médecin d’accueil et d’orientation. « Je le fais depuis deux ans. Ce n’est pas très bien payé, mais les patients sont reconnaissants et j’apprécie l’entente amicale au sein de l’établissement », explique-t-il. Et puis, il y a l’avion. « C’est vrai que c’est un peu ce qui m’a attiré au début. Outre le côté aventure, le coucher de soleil sur la chaîne du Puy ou le massif du Sancy, ça reste assez magique même au bout de 70 fois », s’amuse le généraliste de 50 ans. Cette magie, couplée à l’aspect pratique de faire une ou plusieurs journées entières sans perdre six heures aller-retour dans les transports, pourrait convaincre de nouvelles recrues, internes et docteurs juniors. « Il est temps de passer à la vitesse supérieure », conclut le Dr Rochelet, qui est aussi maître de stage. Ça tombe bien, la hausse du nombre de jours de rotations devrait être annoncée prochainement.
Santé des soignants : deux prix pour valoriser l’engagement des blouses blanches pour leurs pairs
Accès aux soins psy : l’alerte de la FHF
Directeur d’hôpital, un « métier exigeant et d’engagement » dont il faut « prendre soin », plaide l’ADH
Padhue : Yannick Neuder promet de transformer les EVC en deux temps