Dr Alain de Broca, neuro-pédiatre et philosophe

« Les soins palliatifs s'envisagent autrement en 2018 qu'en 2010 »

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Publié le 08/10/2018
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LE QUOTIDIEN : Comment les soins palliatifs en pédiatrie se sont-ils constitués ?

Les premières réflexions remontent au début des années 2000, quand avec quelques collègues, nous avons voulu dire que les soins palliatifs pédiatriques avaient du sens. Malgré l'effroi et la tragédie que vivent des parents dont l'enfant décède d'une maladie neurologique ou métabolique progressive, ou en réanimation, car il est trop fragile, la présence de l'équipe soignante est une bouée de sauvetage. Cela permet de penser la légitimité d'un accompagnement des enfants, sans acharnement thérapeutique. 

Puis se sont greffées les lois du 4 mars 2002, la loi Leonetti de 2005, et la loi Leonetti Claeys de 2016, tandis que se menait en parallèle une réflexion au ministère de la Santé. Il en est ressorti la nécessité de mettre en place des équipes ressources régionales de soins palliatifs pédiatriques (ERRSPP). Celles-ci se sont implantées à partir de janvier 2011, essentiellement dans les CHU, pour offrir aux enfants des ressources sur le plan technique et éthique, et pour faire le lien entre le domicile, l'hôpital de proximité et le CHU. 

Les soins palliatifs en pédiatrie ne sont pas synonymes de mort. Quelles sont leurs spécificités ?

Nous ne parlons plus le même langage en 2018 qu'en 2000 ou 2010 et les soins palliatifs s'envisagent différemment. Les thérapies géniques et ciblées, en oncologie, en neurologie, ont chronicisé des maladies incurables il y a cinq ans. Les stratégies thérapeutiques (trachéotomie, ventilation à domicile, gastrostomie…) modifient la survie des enfants.

L'enfant a toujours une maladie grave et incurable, mais il rentre désormais dans le champ de la maladie chronique et dans celui du handicap, ce qui implique d'autres dynamiques, au niveau de la prise en charge par les équipes à domicile, le médico-social, à l'école, dans la famille, sur le plan financier (aides sociales, MDPH…). 

Autre nouveauté : le développement des soins palliatifs en anténatal et post-natal précoce. Nous participons au diagnostic dans les centres pluridisciplinaires et accompagnons les familles (de plus en plus nombreuses) qui refusent une IMG. 

Cela rejoint les stratégies thérapeutiques anticipées que l'on met en place pour savoir quoi faire si l'état de l'enfant se dégrade. Cela implique d'écouter les souhaits des parents sans verser dans l'obstination déraisonnable. Et cela évite qu'un médecin ou un pompier, mal au fait des particularités de ces enfants, et s'acquittant parfaitement de son devoir, agisse déraisonnablement aux yeux de la famille. Dans les rares cas où les enfants gardent intacte leur capacité de discernement, nous discutons avec eux, leurs parents, et les médecins, pour savoir ce qu'ils veulent. 

D'où surgissent les conflits ?

Le risque de conflit naît quand le pronostic n'est pas clair, quand les parents vivent comme invivable la mort d'un enfant, ou quand le petit a survécu à des interventions très lourdes ; et que les parents demandent aux équipes d'aller au-delà de ce que la réflexion collégiale juge avoir du sens. Les tensions sont légitimes et apparaissent chaque semaine. Tout l'art est de parvenir à un dialogue d'humanité plus que de techniciens, et de convenir avec les parents, ensemble, que l'ajout d'une technique supplémentaire serait déraisonnable, sur le plan scientifique, éthique et humain. 

Qu'apporte la dernière loi Leonetti-Claeys aux SPP ?

Si elle explicite certains points (sédation profonde et continue, arrêt de l'alimentation, etc.), elle ne permet pas de résoudre les conflits. En disant que la décision d'un arrêt des thérapeutiques revient au médecin après avoir entendu les proches, elle entre même en conflit avec la loi qui stipule que les parents ont autorité sur l'enfant jusqu'à sa majorité consciente. 

Mais aucune loi ne résoudra jamais tous les conflits. La loi doit être un guide qui oblige à penser, non une recette.

Propos recueillis par C.G.

Source : Le Quotidien du médecin: 9692