Marisol Touraine vient d’annoncer sa stratégie pour lutter contre la souffrance des soignants à l’hôpital. Le sujet commençait à devenir brûlant. Étrange monopole, l’hôpital public serait le lieu privilégié de la souffrance au travail. Seuls les soignants souffrent, on ne parle jamais de la souffrance des… des éducateurs spécialisés par exemple ou des employés des grandes surfaces, ou encore des ouvriers du bâtiment. On a oublié les drames d’Orange et des télécoms. Il est vrai que l’idée d’une souffrance au travail à l’hôpital intrigue, inquiète, la vocation de l’hôpital n’est-elle pas d’atténuer la souffrance ?
Dans le monde du travail, nous soignants hospitaliers, nous souffrons apparemment plus que tous les autres. Le burn out serait une maladie réservée aux soignants. Soit ! Alors comme on en a l’habitude, dès qu’un nouveau problème se pose, nous, Français, nous créons une commission, en la circonstance un observatoire national présidé par un expert en risques psychosociaux ! En réalité, comme chacun le sait, créer une commission, c’est le meilleur moyen d’enterrer un problème, avec Madame Touraine, il s’agit d’un enterrement de première classe.
Quand comprendra-t-on que l'hôpital souffre de sa bureaucratie, et qu’on s'apprête à rajouter à cette bureaucratie une nouvelle couche de bureaucratie. On est en train de fabriquer de toutes pièces une nouvelle pathologie, la souffrance au travail. Elle aura ses experts, ses enseignants, qui produiront une discursivité totalement creuse et totalement inefficace. On prévoit même des unités de soins dédiées à la souffrance au travail ! Cette pathologisation de la souffrance au travail, est très inquiétante. Elle est inquiétante parce qu’elle consiste à déplacer subrepticement le problème du conflit au travail, conflit générateur de souffrance, d’un cadre juridique vers une problématique médicale. Ce qui aura pour conséquence de pérenniser les conflits qui n’auront désormais plus d’issue juridique. L’hôpital n’en finit plus de s’empêtrer dans des stratégies absurdes.
On avait déjà connu l’absurde avec le discours qualité émanant de notre vénérable HAS. L’été dernier, j’ai vu passer dans notre maternité un inspecteur de la HAS. Il venait, dans le cadre d’une démarche d’accréditation, évaluer nos pratiques. C’était un petit homme charmant, pressé, il devait inspecter tous les services de l’hôpital. Il a traversé le nôtre comme une flèche. Sa seule question fut : « Et chez vous comment ça se passe pour les fins de vie ? » Je le regardai éberlué, il me posait cette question, comme un inspecteur des ventes dans une grande surface aurait demandé à son vendeur si le dernier modèle d’écran plat se vendait bien. J’eus envie de lui dire que les patientes étaient très contentes de leur agonie et que si elles le pouvaient, elles reviendraient volontiers mourir dans notre service. Mais, je me contentai de lui répondre que notre problème était plus aux débuts de vie qu’aux fins de vie, je lui fis en effet remarquer qu’il se trouvait dans une maternité. « C’est vrai », me dit-il, imperturbable et il décampa, il était pressé… Il faut s’attendre de la part des médiateurs – car on prévoit des médiateurs chargés de réconcilier des individus qui se vouent une haine irréparable — à des interventions du même acabit, c’est-à-dire grotesques.
C'est l'institution, c'est le statut de PH qu'il faut remettre en cause. Les médecins ne souffrent pas d'une pression économique insupportable qui pèserait sur eux. L'argument défendu partout d'une évolution entrepreneuriale de l'hôpital ne tient pas, car alors, comment comprendre qu'on n’entend pas parler de souffrance au travail des médecins dans les cliniques privées. L'hôpital n'a rien à voir avec une entreprise et c'est justement là son drame. Le statut dramatiquement figé des PH sans aucune mobilité, sans aucune récompense en fonction des services rendus ou des qualités professionnelles aboutit à des blocages, à des situations de confinement qui nourrissent les conflits et les rancœurs et des procédés de harcèlement.
En réalité c'est l’institution hospitalière qui est gravement perturbée, parce qu'elle est aujourd'hui déconnectée des véritables enjeux de santé publique et faute de le reconnaître et d'envisager une réforme radicale, réforme en particulier du statut de PH (plus grande mobilité, implication dans des missions de santé publique). En ajoutant couche après couche de la bureaucratie, l'hôpital est devenu une institution névropathe qui fabrique des névrosés.
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