LE QUOTIDIEN : Vous avez été démis de vos fonctions de chef de service de l’unité de psychiatrie de Cochin-Tarnier en janvier 2025, a-t-on appris par la voix de plusieurs syndicats de psychiatres, qui vous soutiennent. Que s’est-il passé ?
PR BERNARD GRANGER : Je ne suis pas à l’origine de cette initiative, portée par des confrères psychiatres qui ont été scandalisés par mon histoire et qui ont souhaité le faire savoir.
Pour résumer, le service que je dirigeais est implanté sur deux sites : Cochin et Tarnier. Ce dernier appartient à la mairie de Paris, qui a décidé d’utiliser les locaux pour son projet d’Institut pour la santé des femmes. Nous devons donc libérer les lieux avant la fin de l’été 2025. Mais la solution trouvée par l’AP-HP ne me convient pas.
Pourquoi n’êtes-vous pas favorable au déménagement du site Tarnier ?
Pour quitter le site, nous avions deux options. La première était d’occuper l’ancienne crèche de l’hôpital Cochin, toute proche, ce qui aurait permis de regrouper l’ensemble des activités du service sur un même site dédié à la psychiatrie. Cette option a été soutenue par un grand nombre de chefs de service de Cochin, des associations de patients comme l’Unafam, des syndicats de personnels, mais aussi le Conseil de Paris.
La seconde option est celle qui a été retenue par l’administration. Il s’agit de transférer temporairement Tarnier vers l’hôpital gériatrique de La Collégiale puis à terme vers l’Hôtel-Dieu. Je me suis opposé à ce choix pour les raisons suivantes. Ce n’est pas justifié médicalement et le site de la Collégiale est trop distant de Cochin. Ce choix, que nombre de médecins contestent, risque d’entraîner le démantèlement du service de psychiatrie, déjà fragilisé par des premiers départs de praticiens. De plus, à la Collégiale, qui est un vieil hôpital, le risque d’exposition à l’amiante n’est pas nul, ce que reconnaît l’administration.
Vous êtes médecin mais aussi lanceur d’alerte. Y a-t-il un lien avec votre mise à pied ?
Je le crois. Dans cette affaire, je paye le fait d’avoir dénoncé les agissements du directeur d’Avicenne au moment du suicide du Pr Christophe Barrat, chirurgien qui s’est défenestré en 2018 des locaux de cet hôpital. À l’époque, le directeur Didier Frandji a expliqué ce geste en mettant en avant l’état de santé du Pr Barrat, qui souffrait d’un cancer. Or, sa veuve a réussi faire reconnaître par la justice (par le tribunal administratif de Montreuil en juillet 2023, NDLR) qu’il s’agit d’un accident de service, ce qui met en cause les conditions de travail au sein de l'unité de chirurgie digestive d'Avicenne et non la maladie du Pr Barrat. Une instruction judiciaire (au pénal avec dépôt d'une plainte contre X pour harcèlement moral, NDLR) est encore en cours.
En 2018, je n’ai pas aimé la manière dont ce directeur a traité cette situation dramatique, je me suis attaqué à lui et cela a déplu. Aujourd’hui, Didier Frandji est directeur général du GHU Centre Université Paris Cité, qui regroupe sept hôpitaux de l’AP-HP, dont Cochin et l’Hôtel-Dieu. Je me considère donc victime d’une sanction disciplinaire déguisée. Je pense même qu’il s’agit de représailles car je suis un lanceur d’alerte qui fait officiellement partie de la maison des lanceurs d’alerte (qui regroupe depuis sa création en 2018 plusieurs syndicats et organisations citoyennes, NDLR). Ma situation, qui est loin d’être unique, est emblématique de la façon dont les contestataires sont traités dans des institutions comme l’AP-HP.
Quel est votre avenir à court terme à l’AP-HP ?
J’ai la chance de pouvoir partir à la retraite sans regret le 1er septembre. Pour moi, qui ai si longtemps soutenu les médecins, si longtemps encouragé les jeunes à le devenir, cela reste néanmoins un constat d’échec et une meurtrissure. J’ai été en particulier déçu par l’attitude du directeur général Nicolas Revel, qui ne m’a pas soutenu. Mon histoire illustre l’impact de décisions de restructuration qui viennent d’en haut sans prendre assez en considération les équipes de soignants et les patients. C’est ce que je dénonce depuis très longtemps et qui décourage les jeunes praticiens de s’engager à l’hôpital.
L’AP-HP assume sa décision
Contactée par le Quotidien, l’AP-HP confirme à l’écrit sa décision de suspendre de ses fonctions le Pr Granger. « À partir du moment où le Pr Granger ne s’inscrivait plus dans ce projet [de déménagement] et était entré dans une opposition frontale à sa mise en œuvre, le directeur général, le président de la commission médicale d’établissement central et la doyenne de l’université Paris Cité, ont décidé conjointement de mettre fin à ses fonctions de responsable de l’unité de psychiatrie de Cochin-Tarnier ». Le nouveau responsable de l’unité est le Pr Cédric Lemogne, actuel chef du service de psychiatrie adulte de l’Hôtel-Dieu. « En aucun cas, l’AP-HP ne souhaite affaiblir son offre en psychiatrie au moment où les besoins n’ont jamais été aussi importants », insiste le CHU.
L’AP-HP confirme son choix d’implantation provisoire de l’activité de Tarnier dans les locaux vacants de la Collégiale, situés à un kilomètre de Cochin. Pour le CHU, le second choix (la crèche de Cochin) était trop onéreux (coût « 2,5 fois supérieur à la réhabilitation de la Collégiale ») et incompatible avec le calendrier.
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