Décision Santé. Le suicide du Pr Jean-Louis Mégnien a créé une onde de choc. Il y a un avant et un après comme pour la création des GHT par exemple.
Pr Philippe Halimi, président de l’Association nationale des amis de Jean-Louis Mégnien. D’une certaine façon, une mèche a été allumée. Le paysage de l’hôpital public est aujourd’hui fondamentalement différent. Le suicide de Jean-Louis Mégnien a servi de catalyseur. Certes, avant ce drame lorsque l’on rencontrait soi-même ou un de nos collègues des difficultés, cette situation semblait isolée. Un cap a désormais été franchi. Ce qui est arrivé à Jean-Louis Mégnien concernait un grand nombre de personnes, pas nécessairement tous les médecins. La maltraitance était en fait institutionnalisée comme un mode de management de l’hôpital public.
D. S. Des suicides d’infirmiers au sein de l’hôpital n’avaient pas entraîné un tel retentissement. Le suicide d’un professeur agrégé de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris a cette fois-ci saisi l’opinion.
Pr P. H. La médiatisation a été très large. Le fait qu’un professeur d’une université de médecine prestigieuse intente à sa vie pour des raisons professionnelles a produit un électrochoc. Que se passait-t-il à l’hôpital public ? se sont interrogées de nombreuses personnes. En ce qui nous concerne, nous avions peut-être sous-estimé la souffrance qui frappe un grand nombre de collègues et d’autres personnels de santé. Nous savions pourtant que l’outil s’était considérablement dégradé.
D. S. Est-ce lié à l’introduction de la T2A et du concept du New Public Management ?
Pr P. H. C’est exactement cela. Avec le privilège de l’âge, je suis proche de la retraite. J’ai pu observer la dégradation continue des conditions de travail à l’hôpital public. Ce constat est largement partagé. Des querelles entre acteurs de l’hôpital ont certes toujours existé. Mais la loi HPST a modifié en profondeur l’organisation à l’hôpital. Elle a permis la prise de pouvoir des gestionnaires à l’hôpital transformé en entreprise standard. Résultat, le directeur de l’hôpital a été promu PDG en rupture avec la situation précédente. Auparavant régnait un certain équilibre entre la direction et les équipes médicales et paramédicales. Le dialogue était parfois tendu, mais dominait le respect mutuel illustré par des échanges argumentés. Au final, tout le monde s’accordait sur une solution qui préservait la qualité des soins et l’équilibre budgétaire. La loi HPST a modifié cet équilibre avec la suppression des contre-pouvoirs. Au mieux, le président de la CME suit le directeur, voire le précède. On ne doit pas omettre dans cette nouvelle configuration du pouvoir le rôle des chefs de pôles nommés et révocables à tout moment par l’administration. Le rapport de forces est donc très déséquilibré entre les personnels soignants qui sont en permanence sur le terrain et une direction souvent retranchée dans ses bureaux et rivée sur ses ordinateurs. Là se niche la source du malaise.
D. S. Marisol Touraine n’a pas modifié cette situation ?
Pr P. H. La loi de santé a procédé à certains ajustements qui n’ont pas changé en profondeur ce rapport de forces. Cette absence de transformation est une catastrophe pour l’hôpital public qui ne peut continuer à fonctionner de cette manière. Non seulement les personnels souffrent au quotidien. Mais au-delà de leur situation, cette souffrance génère des conséquences négatives dans la prise en charge des patients. Pourquoi alors avoir promulgué ces mesures ? L’objectif final est-il de mettre à genoux l’hôpital public ? Ou les responsables n’en ont-ils pas mesuré l’impact sur le fonctionnement au quotidien ? L’association Jean-Louis Mégnien entend convaincre les politiques que l’avenir de l’hôpital public est menacé. L’association n’a pas seulement vocation à défendre les personnels maltraités, mais doit aussi s’attaquer aux racines du mal.
D. S. Marisol Touraine n'est toutefois pas dans le déni des souffrances des personnels.
Pr P. H. Certes, la ministre de la Santé reconnaît les souffrances. C’est difficile de faire autrement. Informée par différents canaux, Marisol Touraine connaît bien la réalité de l’hôpital public.
D. S. Comment Edouard Couty gère-t-il la mission qui lui a été confiée ?
Pr P. H. Il assure cette mission avec un grand courage. Notre seul regret, c’est qu’il ne puisse pas être « cloné ». La vision d’Edouard Couty sur l'hôpital est en phase avec celle de l’association Jean-Louis Mégnien en termes de nécessité de réformer en profondeur l’organisation du travail au sein de l’hôpital. En dépit de ses grands mérites, il ne peut tout assumer. La médiation n’a pas pour finalité de déterminer les responsabilités des uns et des autres lorsqu’un conflit dégénère. Les personnes responsables dans la grande majorité des cas restent en poste et ne sont pas sanctionnées. Domine le sentiment d’impunité. En témoigne l’affaire de l’hôpital de Cambrai. Edouard Couty sollicité par la ministre, réussit à faire signer un protocole d’accord entre les parties, protocole qui ne sera pas respecté par le directeur d’établissement qui avait pourtant apposé sa signature. L’ARS n’a pas pris là ses responsabilités en refusant de le sanctionner. Ces dérives sont connues. Trop souvent, les instances responsables ne prennent pas des sanctions. L’AP-HP a été condamnée définitivement deux fois pour harcèlement moral à l’hôpital Henri-Mondor (Créteil) et Ambroise-Paré (Boulogne). Dans ce dernier hôpital, un chef de service a été condamné pour harcèlement moral à l’encontre d’un médecin PUPH. Nous sommes au moment du renouvellement des chefferies de service. Sera-t-il reconduit dans ses fonctions ? On mesure les conséquences au quotidien de cette impunité avec une explosion de la maltraitance. La situation est en train de bouger au sein de la CME centrale de l’AP-HP grâce à l’action remarquable menée par le Pr Noël Garabedian qui se saisit des dossiers et s’implique dans la résolution des conflits. Mais là encore, notre collègue ne peut tout faire.
D. S. Comment agir alors que le mal-être au travail est signalé dans de nombreuses administrations de service public ?
Pr P. H. Au-delà d’un amendement à la loi HPST, nous appelons parmi d’autres mesures à la création d’une Agence nationale de notation extra-financière des établissements hospitaliers publics. Cette nouvelle structure aurait vocation à évaluer l’hôpital selon des critères sociaux et de gouvernance. Seraient pris en compte les taux d’absentéisme, de recours à l’intérim, de signalement à la médecine du travail et les procédures judiciaires en cours. C’est en effet le seul moyen aujourd’hui pour un soignant en souffrance de se faire entendre. Il est en revanche très long et coûteux avec les nombreuses possibilités de recours.
D. S. Vous allez partir à la retraite dans les prochains mois. Referiez-vous le même parcours si cela était possible ?
Pr P. H. Cette question est très personnelle, chacun d’entre nous apportera sa réponse en fonction de son vécu. Le fait que je réserve ma réponse est déjà un signe… Comment promouvoir l’attractivité à l’hôpital alors que nous ne pouvons assurer un avenir à nos jeunes collègues brillants qui souhaitent s’engager à l’hôpital public ? Le désarroi est profond. La crise actuelle mine et réduit les ambitions, décourage les esprits les plus brillants à s’investir sur le temps long. Quel ministre aura le courage de s’attaquer à cette désespérance ?
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