C’est une histoire de statut qui prive un désert médical d’un médecin urgentiste expérimenté. Installé en France depuis 2001, le Dr Sami Boufa, 56 ans, est un réfugié syrien qui a exercé pendant six ans aux urgences du centre hospitalier de Nevers (Nièvre), ces dernières années. Mais en septembre 2024, l’établissement le licencie du jour au lendemain, sans préavis. « La direction a motivé mon renvoi par la disparition de mon statut et le fait que je n’ai pas validé mon inscription à l’Ordre des médecins », confie le médecin au Quotidien.
Le Dr Sami Boufa a longtemps exercé en tant que praticien attaché associé – un statut mis en extinction depuis le 1er avril 2023 pour laisser place à celui de « praticien associé ». Médecin diplômé hors Union européenne (Padhue), il est directement concerné par la réforme visant à instaurer un nouveau cadre statutaire unique, avec ce statut de praticien associé, le temps de la réalisation de leur parcours de consolidation des compétences ou de leur stage d’adaptation.
Mais pour le Dr Boufa, c’est plutôt un parcours d’obstacles qui s’est dressé devant lui. Une série de courriers échangés avec son employeur, que s’est procuré Le Quotidien, retracent ainsi le parcours du combattant de l’urgentiste, illustration des difficultés auxquelles sont confrontés les médecins non diplômés en France et qui aspirent à sécuriser leur intégration, parfois après des années d’exercice dans les hôpitaux.
Quatre ans de procédure
Dans un courrier adressé le 1er octobre 2024 au médecin et faisant office de notification de fin de contrat, l’hôpital de Nevers indique pourquoi ce licenciement ne peut pas être une surprise pour le praticien concerné. « Vous aviez été alerté en 2022 par l’ancienne responsable des affaires médicales de la nécessité de réaliser impérativement toutes les démarches nécessaires à la bonne instruction de votre dossier », recadre l’établissement.
Ce même courrier retrace le cheminement administratif ardu du médecin, qui espérait décrocher une autorisation de plein exercice en tant que chirurgien orthopédiste en traumatologie, en vain. « Vous avez déposé un premier dossier au Centre national de gestion [CNG, qui gère les carrières des praticiens hospitaliers et des Padhue] en tant que lauréat 2008 dans la spécialité chirurgie orthopédique et traumatologique, récapitule l’hôpital de Nevers. La commission nationale d’autorisation d’exercice a examiné le dossier à de multiples reprises et, à l’issue d’un dernier examen en janvier 2021, a conclu que vous ne remplissiez pas les conditions pour obtenir le plein exercice, ce que le CNG a confirmé par courrier du 27 avril 2021. » En clair, ce médecin réfugié syrien n’a pas le droit de prolonger son activité, après l’expiration de son autorisation temporaire.
Des « lacunes » et « manquements » relevés
Le Dr Sami Boufa n’a ensuite réalisé aucune autre démarche pour faire valider ses compétences. En revanche, il a déposé un second dossier pour obtenir une autorisation d’exercice transitoire mais un nouveau courrier du CNG daté du 28 avril 2023 a confirmé la précédente décision. Une fois de plus, l’autorisation de plein exercice dans la spécialité de chirurgie orthopédique et traumatologique lui échappe.
Cette décision renouvelée du CNG de ne pas régulariser un Padhue en exercice depuis deux décennies sur le sol français interroge autant qu’elle met en lumière l’un des enjeux de cette intégration : l’expérience suffit-elle à assurer la qualité des soins ? Contacté par Le Quotidien, l’hôpital de Nevers précise que « malgré les démarches de recours gracieux engagées [par le Dr Sami Boufa], aucun justificatif n’a permis de contredire les manquements identifiés pour permettre la validation de son dossier devant la commission compétente et ainsi son inscription à l'Ordre des médecins. Les lacunes relevées dans son parcours rendent toute consolidation des compétences incompatible avec les exigences réglementaires d'exercice. »
Dans son courrier adressé au médecin en avril 2023, le CNG motive encore sa décision par « l’absence d’expérience significative dans la spécialité, de production de tableau opératoire et de formation continue depuis plus de dix ans [qui] ne permettent pas d’attester [qu’il disposerait] de l’expérience et des compétences suffisantes pour exercer la spécialité en pleine autonomie en tant que senior en France ».
Depuis son licenciement, le Dr Sami Boufa essaye de trouver une solution pour rester en France, où il a construit sa vie. D’après un échange qu’il a eu avec un membre de l’agence régionale de santé (ARS) Bourgogne Franche-Comté, sa seule issue pour espérer exercer à nouveau en tant que médecin – et dans la spécialité visée – serait de repasser les épreuves de vérifications des connaissances (EVC) en 2025. « On manque de praticiens mais on me vire pour raison administrative, ça n’a aucun sens ! », conclut, amer, le médecin syrien.
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