LE QUOTIDIEN – La direction générale de l’AP-HP en a convenu il y a quelques semaines : ses résultats financiers seront moins bons que prévu à la fin de l’année. Comment le corps médical réagit-il à cette situation ?
Pr PIERRE CORIAT – La communauté médicale de l’AP-HP s’est réellement mise en marche pour moderniser l’offre de soins, faire des restructurations. Pour donner un signe de leur responsabilisation, les médecins ont mis en place les groupes hospitaliers, ils ont refondé l’AP-HP en pôles (pour certains inter-sites) ; 120 chefs de pôles ont été désignés – et cela n’a pas occasionné de désaccords, mais un vrai élan de la communauté.
Or que se passe-t-il ? Alors même que l’excédent brut d’exploitation est en nette amélioration, et parce qu’on change à l’improviste les règles du jeu budgétaire [notamment avec le gel des MIGAC* pour 34 millions d’euros et la convergence sectorielle, qui « prive » l’institution de 45 millions en 2011, NDLR], les comptes de l’institution se retrouvent facialement dégradés. Du coup, la direction générale est réticente à mener à bien les restructurations et les bloque : restructurer coûte toujours un peu…
Une pause dans les réorganisations est impensable ?
Plus de 80 restructurations sont en cours ! La CME a élaboré, au sein du plan stratégique, un projet médical que personne ne conteste. Il faut le décliner à l’échelle des groupes hospitaliers pour ce qui concerne la pédiatrie spécialisée, la cardiologie lourde, les neurosciences, la pédiatrie spécialisée, la cancérologie, la gériatrie et les soins de suite. On ne peut pas rester au milieu du gué ! On ne peut pas ne pas miser sur l’avenir ! Nous sommes tellement près du but que ce serait coupable de ne pas y aller…
Prenons l’exemple du Pr Gérald Simonneau, chef du service de pneumologie d’Antoine-Béclère. Il dirige le centre français de référence de l’hypertension artérielle pulmonaire, unité INSERM, 14 « New England » ! S’il ne dispose pas d’un plateau technique pluridisciplinaire de taille suffisante, il ne pourra pas créer le centre de référence européen que nous méritons. D’où sa demande, logique, d’aller à Bicêtre. On ne peut pas lui dire : « Ce projet tombe à l’eau », au prétexte qu’on n’a pas les moyens de donner trois coups de pinceau à Bicêtre pour l’accueillir. C’est pourtant ce qui se passe : nous sommes constamment dans l’immédiateté de l’EPRD 2011 [l’état des prévisions de recettes et de dépenses, c’est-à-dire le budget, NDLR]. « Quand le sage montre la lune, le fou regarde le doigt », dit le proverbe chinois. Pour moi, l’EPRD, c’est le doigt !
Et la lune ?
L’horizon 2016-2020 : la médecine est tellement évolutive ! Il faut se demander si, en 2020, notre offre de soins quantitative et qualitative sera adaptée à la demande et à l’évolution de la médecine. Je lance donc un appel pour que l’AP-HP reste à la pointe du progrès médical et garde son rôle dans la médecine de recours, l’innovation et la veille technologique.
Vos interlocuteurs – la direction générale de l’AP-HP en interne, mais aussi l’agence régionale de santé (ARS) – entendent-ils vos arguments ?
Le directeur de l’ARS entend mon discours… Mais quand je souhaite qu’il nous dise « Avancez ! », il nous répond : « Pour l’instant, on a gelé mon enveloppe MIGAC [qui finance les missions d’intérêt général et les aides à la contractualisation, NDLR], je fais une règle de trois et je reprends son dû à l’AP-HP. » Pourtant, c’est de l’intégration des structures de l’AP dans l’offre de l’Ile-de-France qu’il s’agit.
Quant à la Direction, il y a une parfaite synergie avec le directeur de la politique médicale ; nous sommes tous les deux initiateurs et porteurs du projet médical de l’institution. Nous sommes par ailleurs en phase avec Madame Faugère (directrice générale de l’AP-HP) sur ce qu’il faut faire pour moderniser notre offre de soins. Le problème, aujourd’hui, est qu’en effet, il faut faire. Arrêter de penser EPRD 2011, et construire une « AP-HP 2020 » adaptée aux progrès de la médecine, à l’évolution des métiers soignants et à la demande de soins en constante évolution.
Sinon… ?
Que feraient alors les personnes impliquées dans les restructurations programmées ? J’ai une inquiétude sur ce point : les doyens, avec lesquels nous avons jusque-là travaillé en totale synergie, pourraient prendre la main et recruter des médecins hospitalo-universitaires unilatéralement. On rentrerait alors dans un « mercato » destructeur. Et il n’y aurait plus de restructuration possible.
Piloter une CME – a fortiori celle de l’AP-HP, à vous entendre – est un exercice difficile. Pourtant, vous êtes candidat à votre propre succession. Pourquoi ?
Parce que je pense qu’il faut finir ce qui a été entrepris, peser sur la direction générale et les pouvoirs publics pour adapter l’offre de soins à la demande, en la modernisant pour que l’AP-HP garde ses fonctions de recours et d’innovation. J’ai vécu ces dernières années une expérience étonnante : les chefs de service, les chefs de pôle, tous les confrères, ont compris qu’il fallait bien se restructurer. Qu’ils aient ainsi adhéré au projet a représenté une satisfaction. Pourquoi cela a-t-il fonctionné ? Parce que plus les contraintes économiques étaient fortes, plus la référence au projet médical est restée incontournable. Et c’est pour moi l’encouragement à continuer.
* Missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation
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