Depuis quelques jours, la tension monte entre le ministère de la Santé et le collectif de pédiatrie, dans un contexte de saturation des services hospitaliers et de crise sans précédent du secteur, sur fond d'épidémie de bronchiolite. La polémique s’est cristallisée autour de l'existence d'un « tri » opéré dans certains services pédiatriques des hôpitaux.
Selon le collectif pédiatrie, depuis des semaines, voire « plusieurs mois », les soignants du secteur vivent « quotidiennement » des situations de « tri », a cadré ce dimanche l’organisation dans un communiqué. Le collectif dit même avoir multiplié les alertes sur ce « choix contraint » qui consiste à privilégier « le soin urgent de l’enfant le plus gravement atteint aux dépens du moins urgent ou du plus chronique ». Pour étayer sa thèse, le collectif donne des exemples concrets de « tri » : « à quel enfant donner la dernière place d’hospitalisation, lequel est prioritaire pour la dernière place de réanimation, quelle chirurgie sera annulée, quel soin sera, quel soin sera reporté ».
Obligés de trier
La controverse remonte à jeudi dernier. Pédiatre réanimatrice à l’hôpital Trousseau (AP-HP) et membre du collectif, la Dr Julie Starck, témoignant d'une situation intenable, a prononcé sur « RTL » la phrase de trop pour François Braun : « On est obligés de trier nos enfants ». « On est contraint de prendre un surnombre dans le couloir, ajoutait la pédiatre. Donc, vous imaginez, un patient de réanimation qui est ventilé dans le couloir avec un paravent, un respirateur de transport qui n’est normalement pas fait pour ça ».
Interrogé par « Le Parisien », François Braun s’est dit « choqué par cette formule » jugée même « inadmissible ». Si le ministre a conscience des graves difficultés actuelles, il s’insurge contre ces « propos qui déforment la réalité » et brandit même la menace d’une enquête. L’ex-président de Samu Urgences de France refuse également que certains affirment « qu’on décide de qui on laisse vivre ou mourir ». La situation serait claire selon lui : « On ne trie pas les enfants à l’hôpital. »
Pas de tri pour Véran
Trois jours plus tard, Olivier Véran a enfoncé le clou sur BFM TV. Pour le porte-parole du gouvernement, « le tri n’existe pas » en matière sanitaire, qu’il s’agisse de « nourrissons, d’enfants, d’adultes ou de vieillards ». L’ancien ministre de la Santé préfère parler de son côté d’« organisation des soins graduée et différenciée en fonction de la charge sanitaire dans un endroit ». D’autre part, quand « un hôpital ne peut plus faire face à l’afflux de patients, il s’appuie sur d’autres d’hôpitaux », considère le médecin.
Contactée ce lundi par « Le Quotidien », la Pr Isabelle Desguerre, cheffe de service à l’hôpital Necker, qualifie cette polémique de « vaste rigolade, on joue sur les mots ». Selon la neuropédiatre, membre du collectif, trier ne signifie pas : « "je soigne un enfant ou je le laisse mourir", mais que l’on choisit de soigner les gens en fonction de la gravité des cas ».
Risques
Comme la Dr Starck, elle est parfois contrainte d'établir des priorités dans son service. À titre d’exemple, quand un enfant hospitalisé passe de 15 à 10 crises d’épilepsie par jour, « nous le faisons sortir pour en prendre un autre qui en fait 15 jours par jour ou qui est en état de mal. Cela s’appelle du tri », explique la neuropédiatre. Mais ce n’est pas pour autant que l’état de l’enfant est stabilisé, si bien « qu’on lui fait quand même courir un risque ».
Pour la cheffe de service à Necker, cette polémique est une manière pour le gouvernement de « noyer le poisson ». Car, « pendant que l’on pinaille sur un terme, on ne parle pas des vraies solutions à apporter ». La neuropédiatre aimerait en savoir plus sur le programme et les moyens durables mobilisés pour répondre à la crise de la pédiatrie hospitalière. « Quand connaîtra-t-on les personnes qui constituent les groupes de travail des Assises de pédiatrie ? », interroge-t-elle aussi. Le risque existe à ses yeux que de nombreux professionnels « partent à la fin du plan banc, en janvier ou février prochain ». Selon la pédiatre, le ratio serait aujourd'hui d’« une infirmière pour 12 enfants dans la plupart des services », ratio qualifié de « dangereux ».
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