Il y a un mois, un jeune neurochirurgien de 38 ans, « très bon chercheur, excellent enseignant » travaillait encore aux côtés du Pr Stéphane Velut, neurochirurgien au CHU de Tours, auditionné mardi par la commission d'enquête du Sénat sur la situation de l'hôpital. Mais ce jeune praticien a décidé de partir exercer dans une clinique privée, surtout « parce qu’il n'en pouvait plus ». Le Pr Velut comptait pourtant sur lui pour lui succéder… Pour ce dernier, la vague de départs de praticiens s'explique notamment par le fait que les « émoluments et la souplesse de fonctionnement entre le public et le privé n’ont rien à voir ».
Alors que, dans le secteur privé, on peut opérer du jour au lendemain, « nous sommes sept chirurgiens pour 1,5 salle d’opération ouverte », raconte le Pr Velut. Et de regretter que l’hôpital forme des neurochirurgiens durant 15 ans aux frais du contribuable, pour les voir ensuite « partir dans le privé où ils vont gagner deux à trois fois plus ». Son constat est amer : « Le système public alimente le secteur libéral qui est en train de tuer sa matrice de formation. »
Manque de souplesse
Comment en est-on arrivé là ? Hospitalo-universitaire depuis 1981, le neurochirurgien du CHU de Tours a vu s'empiler les réformes hospitalières. La T2A ? Elle a augmenté « le nombre d’actes et de séjours, sans aucune évaluation de la pertinence des soins ». La loi HPST (hôpital, patients, santé et territoires) ? Elle a donné « tous pouvoirs aux directeurs d’établissements et à l’administration » avec, simultanément, l’apparition de vastes pôles, une strate supplémentaire. Comme nombre de ses confrères, le neurochirurgien a vu s'ajouter les couches administratives et décisionnelles, se traduisant par « bureaucratie » et « manque de souplesse ».
À partir de 2012, le comité interministériel de performance et de la modernisation de l'offre de soins (Copermo), avec son « P » de « performance », a incarné l'approche comptable des restructurations hospitalières. La seule variable d’ajustement des établissements est devenue « le personnel » qui représente « à peu près 60 % du budget » des hôpitaux, constate encore le spécialiste.
La fermeture des lits est aussi pointée du doigt. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees, ministère), quelque 100 000 lits hospitaliers ont disparu entre la fin des années 1990 et la fin des années 2010. Or, souligne le Pr Velut, « un lit d’hôpital n’est pas un meuble mais représente, selon le type de soins, entre 3,2 et 4,5 équivalents temps plein. Donc, 100 000 suppressions de lits, c’est à peu près 350 000 emplois de moins ».
Des gestionnaires qui se mêlent du soin
Autres fléaux identifiés : l’accumulation des tâches administratives, la multiplication des réunions et surtout des « tableaux Excel » qui donnent l’impression que « le bénéfice n’est plus le résultat de notre travail, mais en est devenu le but », se désole le neurochirurgien pour qui la performance financière est désormais « l’indicateur dominant à l’hôpital ». Les médecins ont le sentiment que « les directeurs sont devenus comptables de leur comptabilité », tandis que les soignants se retrouvent aujourd’hui « dans la double contrainte d’une subordination prégnante et d’une perte de sens ».
Chef du service d’urologie à l’hôpital Cochin (Paris), le Pr Michaël Peyromaure a dressé un constat similaire et désabusé face au Sénat. Il assiste depuis 20 ans à la « montée en puissance du pouvoir administratif », si bien que les soignants sont « à la merci des gestionnaires qui leur imposent toutes les règles, jusqu’à s’immiscer dans les types de soins ». Le médecin a pourtant connu une époque ou l’administration et les financiers étaient « au service des soignants ». C’est désormais l’inverse, cadre le Pr Peyromaure, en particulier depuis la loi HPST qui a « considérablement aggravé cette tendance ».
Injonctions contradictoires
Tout cela conduit au « désespoir », voire à « l’écœurement » des soignants, soumis par ailleurs à des injonctions contradictoires. « En haut, on leur demande d’industrialiser les soins, de tout recenser avec l'informatique, de tout coder, de faire des actes », observe le Pr Peyromaure. Mais dans le même temps, « les moyens dont ils disposent fondent comme neige au soleil. Et surtout, ils n’ont plus voix au chapitre ». Pour le chef du service, on arrive à un stade où « nous ne sommes plus considérés, plus écoutés par la hiérarchie administrative. Les directives tombent par courriels ».
Dans ce contexte, le Pr Peyromaure propose « pour restaurer de la transparence et de la démocratie » de créer des services autonomes, comme cela existe dans certains pays européens. « Le chef de service, secondé par le cadre administratif, aurait un budget pour recruter et s’équiper, comme cela existe déjà à l’hôpital de Valenciennes », plaide le médecin. Il ne s’agirait pas de faire un chèque en blanc à ces chefs de service. Ceux-ci « devraient rendre des comptes tous les ans ou tous les deux ans, et présenter leurs objectifs devant la CME », nuance le praticien de Cochin. Les mauvais gestionnaires se verraient « soit retirer une partie de leur budget, soit démis de leur chefferie ».
Pour une gestion bicéphale
Cette perte de sens largement partagée par les hospitaliers, le médecin urgentiste Gérald Kierzek l'a résumée en une phrase choc devant la commission sénatoriale. « On est passés de l’autonomie des mandarins à l’autocratie des manageurs », juge le directeur médical de Doctissimo. Et de souligner que la loi HPST a alimenté cette dérive car « les chefs de service sont nommés par les directeurs d’hôpitaux, donc vous tenez complètement les blouses blanches dans les services ».
Pour le Dr Kierzek, il est urgent de remédicaliser la gouvernance car « pour mieux soigner, il faut remettre les soignants aux manettes ». Il préconise aussi de faire évoluer les carrières pour que, par exemple, « un chirurgien ou un anesthésiste qui connaît parfaitement la machine "hôpital" puisse devenir directeur médical de l’hôpital ». L’urgentiste imagine même « une gestion bicéphale » des établissements avec, à leur tête, des directeurs médicaux qui feraient, à mi-temps, de la clinique et de l'administratif.
Le Dr Kierzek souhaite enfin remettre de l’humanité dans un hôpital où « les gens sont devenus des numéros ». À ce titre, il estime que le nouveau forfait patient urgences « continue à culpabiliser les gens en les faisant payer aux urgences » avec le risque que « beaucoup restent chez eux ».
Padhue : Yannick Neuder promet de transformer les EVC en deux temps
« Les Flying Doctors », solution de haut-vol pour l’accès aux soins en Bourgogne
Denis Thuriot (maire de Nevers) : « Je songe ouvrir une autre ligne aérienne pour les médecins libéraux »
À Niort, l’hôpital soigne aussi les maux de la planète