La hache de guerre a-t-elle été (provisoirement) enterrée ce jeudi entre les deux grandes fédérations représentatives de l’hôpital public (FHF) et des cliniques (FHP) ? Alors que les antagonismes s’étaient exacerbés sur fond de campagne tarifaire avant l’été, les deux patrons du secteur – Lamine Gharbi, au nom des cliniques privées, Arnaud Robinet pour les hôpitaux publics – ont délivré des messages d’apaisement, lors des Rencontres de la FHP, à Nancy.
Malgré les désaccords passés, et dans un contexte morose marqué par les tensions budgétaires et l’incertitude politique, tous deux ont cherché des voies de compromis et des terrains d’entente. De fait, les deux secteurs sont aujourd’hui très fragilisés sur le plan financier (inflation, hausse des coûts) avec quelque deux milliards d’euros de déficit attendu pour les hôpitaux publics, alors que plus de la moitié des cliniques devraient virer dans le rouge en 2024. De quoi rassembler les forces pour pousser des dossiers communs en matière de financement et de programmation pluriannuelle…
Je ne vais pas me fâcher avec toi, car tu es ministrable !
Lamine Gharbi (FHP) s’adressant à Arnaud Robinet (FHF)
C’est donc à des échanges de sourires et d’amabilités que se sont livrés le président de la FHP et son homologue du secteur public. « Nous devons tous deux changer de logiciel et arrêter de nous invectiver par presse interposée, a proposé Lamine Gharbi avant d’ironiser. Je ne vais pas me fâcher avec toi, car tu es ministrable ! » Réponse presque complice d’Arnaud Robinet : « Il ne faut pas que les pouvoirs publics nous divisent pour mieux régner. Nous pouvons avoir des mots caricaturaux défendus par la passion, mais nous devons avancer main dans la main. »
Sujets qui fâchent et millions égarés
Il faut dire qu’en 2024, deux dossiers explosifs ont énormément crispé les deux secteurs : d’une part la publication des tarifs hospitaliers au printemps dernier qui avait poussé les cliniques et les spécialistes libéraux qui y exercent à menacer d’un mouvement de grève ; d’autre part, la participation du privé aux urgences et à la permanence des soins, jugée insuffisante.
Face à la menace de grève massive des cliniques, Frédéric Valletoux avait conclu fin mai un accord financier avec le privé lucratif. Mais « cet accord n’a été que partiellement appliqué », se désole Lamine Gharbi. Les cliniques ont certes touché 130 millions d’euros depuis la suppression au 1er juillet du dispositif qui neutralisait l’avantage fiscal induit par le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Mais il leur manque encore l’enveloppe de 80 millions d’euros en année pleine pour financer la revalorisation des gardes de nuit et week-end. Quant à l'accompagnement financier promis par Frédéric Valletoux pour revaloriser les salaires (en vertu d’un accord patronat/syndicats de 2023), il reste dans les limbes, selon la FHP. Quelque 240 millions d'euros sont nécessaires, assure la fédération…
L’interminable blocage politique a donc gelé plusieurs dossiers majeurs et les cliniques – comme l’hôpital public – réclament aujourd’hui que l’exécutif reprenne la main pour redonner de l’oxygène au secteur.
Point de friction en sourdine
Autre sujet délicat, qui suppose une entente cordiale : le partage équilibré des contraintes de permanence des soins dans les établissements de santé (PDS-ES). La loi dite Valletoux de décembre 2023 a prévu de donner aux agences régionales de santé (ARS) des pouvoirs plus contraignants pour forcer les cliniques et les hôpitaux à s’entendre sur leur territoire afin d’assurer l’accueil du public 24 heures/24 en répartissant mieux l’effort. Mais les décrets tardent, là encore, à venir. En attendant, ce point de friction entre les fédérations est aussi mis en sourdine… Lamine Gharbi a promis à Arnaud Robinet de ne plus affirmer « que l’hôpital public est payé pour ne pas travailler ». En échange, ce dernier ne doit plus raconter que le privé ne participe pas suffisamment à la permanence des soins ni à l’activité des urgences. Le pari sera-t-il tenu ?
Le président de la FHP se tourne plutôt vers l’État, réclamant l’ouverture et le financement des lignes de garde nécessaires. D'après lui, les cliniques réalisent 20 % de l'activité des urgences, mais ne sont financées qu'à hauteur de 8 % de la permanence des soins. Sans compter le manque d’autorisations délivrées au privé. Conciliant, Arnaud Robinet cite un exemple de « collaboration quotidienne » entre le CHU de Reims, ville dont il est le maire (Horizons), et la polyclinique Courlancy de Bezannes pendant la crise sanitaire. Et insiste sur les acquis comme la maison médicale pour réorienter les patients et éviter les engorgements aux urgences.
Pluriannualité, autre revendication commune
D’autres dossiers sont désormais portés de concert. Sur le haut de la pile, l’élaboration d’un « protocole de financement pluriannuel », une revendication partagée aussi avec les deux autres grandes fédérations (du grand âge et des centres de lutte contre le cancer), gage de visibilité budgétaire. Le volet des ressources humaines fait aussi partie des intérêts communs. Dans le public, Arnaud Robinet constate à cet égard un « frémissement » positif du côté des recrutements des paramédicaux, mais toujours des difficultés chez les médecins.
Dans ce pacte de non-agression bien compris, chacun devrait rester dans son couloir pour défendre ses intérêts, sans trop brocarder l’autre secteur. Se qualifiant volontiers « de personnes responsables qui ont envie de travailler ensemble », les deux présidents ont compris qu’une guerre ouverte « faisait le jeu » de leurs adversaires. Mieux vaut rester « amis » que de jeter de l’huile sur le feu.
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