L’annonce surprise par le Premier ministre Gabriel Attal, dans son discours de politique générale, de la nomination d’un « émissaire » pour aller chercher des médecins à l’étranger peut-elle contribuer à renforcer efficacement l’hôpital et le système de santé ? Ou est-ce un effet d’annonce ?
L’émissaire va-t-il chercher à rapatrier uniquement des praticiens français ou francophones ? Catherine Vautrin a précisé qu’on pouvait proposer aux médecins étrangers intéressés « de venir pratiquer en France, pendant quelques années en accord avec leur pays d’origine ». Mais quid alors, du plan éthique, d’aller puiser dans les ressources humaines hors de nos frontières, là où d’autres pays manquent aussi de blouses blanches ?
En tout cas, cette mesure choc a suscité une vague de remous dans le secteur hospitalier, où la surprise le dispute souvent à la consternation. Le Pr Rémi Salomon, patron de la CME de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), président de la conférence des présidences de CME de CHU, juge la formulation de Gabriel Attal « choquante ». « Je ne vois pas comment on peut envisager une chose pareille dans la pratique », juge le néphrologue pédiatre. Pas en reste, le Pr Philippe Juvin, chef de service des urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou, pourfend une « mesure gadget, et pire, totalement inutile puisqu’il y a déjà 20 000 candidats de professionnels de santé étrangers qui ont postulé aux épreuves de vérification de connaissances ». Jean-Carles Grelier, député Renaissance, se montre lui aussi dubitatif. « Même si aucune mesure n’est idiote, nous ne pouvons plus nous satisfaire de mesure sparadrap ».
Malaise du secteur hospitalier
Au-delà de l’effet de curiosité, c’est le malaise qui prédomine. Quels seraient les praticiens ciblés par cet énigmatique émissaire ? Ne risque-t-on pas de déshabiller Paul pour habiller Jacques ? Le Dr Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Amuf, se montre sévère. « C’est du néocolonialisme, nous manquons de médecins et donc nous allons en recruter… à l’étranger, s’agace l’urgentiste de Bobigny. Mais allons-nous rembourser des pays comme l’Algérie ou le Maroc pour la formation que nous leur avons volée ? »
Quelle forme pourrait prendre cet émissaire ? Le cabinet du ministère de la Santé interrogé par Le Quotidien est en train d’y réfléchir. « Banco monsieur Attal, on envoie un émissaire à Cuba ! », cingle le Dr Christophe Prudhomme. Par le passé il est vrai, nombre de pays sud-américains ont fait appel aux praticiens cubains (formés en masse). La France s’est servie de ce vivier aux Antilles et en Guyane pendant la crise sanitaire.
Sujet éthique
Par ricochet, cette polémique sur le « débauchage » de médecins à l’étranger fait rebondir le débat sur le sort des praticiens à diplôme hors UE (Padhue) qui exercent aujourd’hui en France, que le gouvernement veut régulariser en nombre, mais dont beaucoup subissent un statut précaire. Le Dr David Piney, vice-président de la conférence nationale des présidents de CME des centres hospitaliers, insiste sur le parcours d’obstacles vécu par ces praticiens et admet qu’il y a « un sujet éthique » dans cette affaire. Il espère que l’initiative d’émissaire du gouvernement n’aboutira pas « à déstabiliser les organisations de soins de ces pays », mais qu’elle permettra une démarche active d’intégration.
La sortie du Premier ministre a en revanche enthousiasmé Émilie Dias, directrice d’un cabinet de recrutement de praticiens. Cette dernière a créé la plateforme Open for Doc, plateforme de recrutement dédiée aux médecins européens qui souhaite exercer en France. « Avoir un émissaire, une structure qui va chercher des profils qui ont envie de venir en France, c’est bien. M. Attal est prêt ! Mais va-t-il réussir à se battre contre les institutions françaises ? »
Rapatrier des jeunes étudiants français, l’autre versant
La création d’un émissaire national vient compléter une autre mesure déjà dans les tuyaux, consistant à rapatrier les… étudiants français qui souvent contournent le numerus clausus (désormais apertus) en entamant des études de médecine en Belgique, en Roumanie ou en Espagne. La mesure fait partie de la proposition de loi votée par l’Assemblée en décembre à l’initiative du député Dr Yannick Neuder (LR) , seul député cité par Gabriel Attal dans son discours de politique générale. La boucle est bouclée ?
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