Lundi 3 avril, le jour du plafonnement de la rémunération des médecins intérimaires dans les hôpitaux publics, cinq présidents de commission médicale d’établissement (CME) et quatre directeurs se sont réunis devant la presse, à Avignon, au sujet de la mise en œuvre de cette réforme délicate dans les hôpitaux vauclusiens.
Si tous sont convaincus que cette loi est « absolument nécessaire » pour stopper les dérives tarifaires, tous regrettent aussi qu'elle n’aborde pas de manière concomitante la valorisation des carrières hospitalières pour les rendre plus attractives.
On bouche les trous
Les efforts et les réunions pour « boucher les trous » dans les plannings et réorganiser les services ont du moins permis d’aboutir au maintien de l’offre de soins dans le territoire avec « un mode de fonctionnement dégradé », devenu habituel. « On partait d’une situation extrêmement fragile puisque 35 à 75 % des médecins des urgences du Vaucluse, en dehors de l’hôpital support d’Avignon, sont intérimaires ou en contrat de gré à gré », souligne Pierre Pinzelli, président du comité stratégique des hôpitaux du Vaucluse. Parmi eux, « 10 à 15 % des médecins ne viennent que très ponctuellement ».
Alarmiste, la première projection (mi-mars), en lien avec l’ARS, faisait état de « suspensions » possibles d’activité dans de nombreux établissements et d’autres services que les urgences. « On était à 36 jours de fermeture des maternités du Vaucluse », illustre Pierre Pinzelli, également directeur des hôpitaux d’Avignon et de Cavaillon. Un mois plus tard, la direction assure qu’elles resteront ouvertes, y compris à Carpentras, deuxième maternité du département (1 200 accouchements) et à Cavaillon (600).
Situation fragile
« La situation reste très fragile à court et moyen terme », alerte toutefois le Dr Borhane Slama, président de la commission médicale de groupement (CMG) du Vaucluse. Depuis fin janvier déjà, l’accueil des patients aux urgences de Cavaillon est régulé par le Centre 15 de 21h à 8h. Les remplaçants représentent 70 % des médecins – et autour de 50 % aux urgences de Carpentras où il faut 11 équivalents temps plein pour faire tourner le service (seuls 5,5 ETP sont pourvus).
« Au mois d’avril, la fermeture du Smur est programmée pendant 10 à 15 jours, précise aussi le Dr Nizard Bejaoui, président de la CME de Carpentras. Certaines nuits et certains jours aux urgences, nous aurons un seul médecin sénior. La charge de travail risque d’être insoutenable ». « Les patients pris en charge en ambulance ou dans les véhicules pompiers seront forcément détournés vers d’autres établissements du département et le délai de prise en charge va s’allonger », ajoute-t-il.
Renforts ?
À ce stade, le détachement d’un urgentiste d’Avignon, le concours de médecins de ville pour reprendre des gardes et celui des soignants des « étages » pour prêter main-forte à l’unité d’hospitalisation de courte durée ont rendu possible cette réorganisation locale. Mais tiendra-t-elle ? « Aujourd’hui, les plannings sont bouclés. Mon inquiétude, c’est surtout pour l’été », insiste aussi le Dr Lawal Boubakar, président de la CME du CH du Pays d’Apt.
Dans cet autre hôpital vauclusien, les quatre postes d’anesthésistes du bloc opératoire sont tous occupés par des intérimaires. Idem à Cavaillon, qui n’est plus certifié par la Haute Autorité de santé (HAS) et où 100 % des postes d'anesthésistes sont vacants. « 30 % des médecins intérimaires refusent de poursuivre l’activité dans cet hôpital avec ce nouveau tarif, affirme le Dr Paramasiven Mootien, président de la CME de Cavaillon. Nous serons donc obligés de déprogrammer l’activité chirurgicale programmée. »
À Avignon, « l’impact sur l’organisation des planning est limité, constate le Dr Guillaume Granier, président de la CME. Ce qui nous inquiète, c’est l’impact sur le flux de patients et si on arrive à le gérer en totalité. » Ceux qui vont subir le plus lourd tribut dans ce mode de fonctionnement tendu, « ce sont les intérimaires réguliers et les praticiens hospitaliers », insiste-t-il.
Carrières, statut : les vrais enjeux
En France, 15 000 postes de praticiens hospitaliers sont non pourvus, insiste le Dr Slama, qui fait le lien direct avec l'attractivité des carrières. « S’il n’y a pas de remise à plat du statut de PH et des paramédicaux, et sans gouvernance médico-administrative effective sur le terrain, nous craignons à moyen voire à court terme un effondrement de notre système de santé », explique-t-il. Dans le service d’oncohématologie d’Avignon qu’il dirige, 60 % des médecins sont étrangers. « Ça rejoint la problématique de fond de l’effectif médical », insiste l’hématologue. Ils sont 70 au total dans cet hôpital, embauchés sous le statut de stagiaire associé, selon la direction.
Cette dernière assure que la rémunération des praticiens intérimaires n’est jamais allée au-delà de 2 200 euros net pour une garde de 24 heures aux urgences de Carpentras. « L’idée est donc de faire revenir vers nous tous les médecins qui, dans un premier temps, en réaction aux tarifs annoncés ont décidé de s’extraire des hôpitaux publics à travers des contrats de gré à gré et de motif 2 », insiste Pierre Pinzelli. « Notre ambition est de retrouver d’ici l’été suffisamment d’effectif médical pour stabiliser nos plannings, poursuit-il. Si on n’y parvient pas, on sera en grande difficulté ».
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