À l’occasion des 30 ans des SAMU et SMUR en 2004, le Dr Philippe Menthonnex avait recensé les noms des sept médecins urgentistes décédés au cours de leur exercice (accident l’hélicoptère majoritairement mais aussi de voiture ou éboulement sur un lieu d’intervention). Ces chiffres – qui ne prenaient pas en compte les médecins et soignants blessés à l’occasion d’accidents – n’ont pas été actualisés par la suite (1). En début d’année 2025, le Dr Arnaud Depil-Duval (Verneuil-sur-Havre) a partagé sur sa page LinkedIn ses préoccupations quant à la mise en danger des soignants en intervention d’urgence. Résultat : plus de 150 réponses qui saluent la pertinence de la question et appellent à la mise en place d’un registre national des accidents mettant en cause un véhicule ou un hélicoptère de SMUR.
Aux États-Unis, entre 2003 et 2007, environ 65 ambulanciers et techniciens médicaux d'urgence sont décédés dans l'exercice de leurs fonctions. 45 % de ces décès étaient imputables à des accidents de transport terrestre. Dans ce pays, un rapport de la National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) de 2015 estimait à 1 500 le nombre d'accidents d'ambulance entraînant des blessures chaque année, et près de la moitié des blessés se trouvaient à l'intérieur de l'ambulance (2).
Ce rapport a révélé que 84 % du personnel des services médicaux d'urgence à l'arrière d'une ambulance ne portait pas de ceinture de sécurité lors d'un accident grave. Les décès dans l'ambulance étaient plus susceptibles de survenir dans le compartiment des patients [rapport de cotes : 2,7] que dans le compartiment avant et étaient souvent dus à des occupants non attachés ou mal attachés. De plus, 11 % des conducteurs de l'ambulance n’étaient pas ceinturés (3).
La question qui se pose le plus est celle de l’utilité des déplacements avec dépassement des vitesses autorisées, des libertés quant au code de la route et l’utilisation de gyrophares et sirènes. En effet, le taux de blessures chez les soignants préhospitaliers est majoré près de 15 fois en cas d’utilisation de moyens de signalisation (2). Le rapport commandé par la NHTSA en 2015 recommande que l'utilisation de gyrophares et de sirènes soit considérée comme un « traitement médical » et que les risques et les avantages de son utilisation soient mesurés pour chaque patient avant son utilisation (3).
Plus de 85 % des sorties mais moins de 7 % d’urgences vitales
Dans ce contexte, l’utilisation des gyrophares et des deux tons a-t-elle encore un sens ? Oui, si elle fait gagner du temps sur la prise en charge des patients. Dans un blog, le Pr Nicolas Peschanski (Rennes) s’est penché sur cette question en analysant une étude sur les interventions à « potentiel de sauvetage de vie » (42 motifs dont infarctus du myocarde, AVC, hémorragie massive…) (4). Il s'agit d'une analyse rétrospective, portant sur une base de données nationale fournie par les services mobiles d’urgences médicales (Emergency Medical Services – EMS). Les données sont issues des dossiers médicaux électroniques. Près de six millions d'appels passés au 911 pendant l’année 2018 ont été passés au crible (5).
On pourrait réfléchir à utiliser les gyrophares et deux tons de manière plus sélective et prendre parfois moins de risques dans nos déplacements d’urgence…
Pr Nicolas Peschanski (Rennes)
La grande majorité des interventions déclenchées par ces appels (85,8 %) ont été effectuées en utilisant des gyrophares et les sirènes mais seuls 6,9 % des envois d’ambulance étaient en lien avec l’une des 42 pathologies vitales retenues pour l’analyse. Lorsqu'on les stratifie selon la nature de l'appel, les arrêts cardiaques présentent le taux le plus élevé de recours aux gyrophares et deux tons (45,0 % en analyse par cause d’appel et 70,1 % en analyse rétrospective pour les arrêts avérés) suivis des problèmes aigus survenant chez les diabétiques (37,0 %). Les auteurs estiment que les outils de signalisation des ambulances sont utilisés trop souvent pour des urgences non vitales et font courir des risques d’accidents aux soignants dans les ambulances.
Pour le Pr Peschanski, « on pourrait réfléchir à les utiliser de manière plus sélective et prendre parfois moins de risques dans nos déplacements d’urgence… quoiqu’il faille parfois se faufiler dans le trafic dense des heures de pointe ou encore libérer rapidement une équipe SMUR engagée. En outre, ces informations pourraient être utiles dans l'argumentation concernant les nuisances sonores causées par les ambulances la nuit, en particulier dans les zones urbaines du centre-ville ».
(1) https://www.samu-urgences-de-france.fr/medias/files/154/111/369%20in%20…
(2) De Anda H, Moy H. EMS Ground Transport Safety StatPearls [Internet]. Treasure Island (FL): StatPearls Publishing; 2025 Jan.
(3) Smith N. A National Perspective on Ambulance Crashes and Safety. Guidance from the National Highway Traffic Safety Administration on ambulance safety for patients and providers. EMS World. 2015 Sep;44(9):91-2, 94.
(4) https://www.esanum.fr/blogs/urgences/feeds/today/posts/gyrophares-et-si…
(5) Jarvis J, Hamilton V, Taigman M et cool. Using Red Lights and Sirens for Emergency Ambulance Response: How Often Are Potentially Life-Saving Interventions Performed? Prehosp Emerg Care. 2021 Jul-Aug;25(4):549-55. doi: 10.1080/10903127.2020.1797963.
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