Ce n’est pas la première fois que le cinéma s’attaque au dossier chargé des urgences. Gageons que ce ne sera pas la dernière non plus, tant le sujet, telle une plaie jamais cicatrisée, recèle d’intensité dramatique. Le film « La Fracture » qui sort mercredi en salles propose une plongée inédite de 98 minutes au cœur du réacteur d’un grand pôle hospitalier parisien. Émotion garantie, sueurs froides aussi, même si le rire affleure parfois, tant Catherine Corsini sait aussi dans ses films manier le ressort tragi-comique. C’est une fiction à la Ken Loach qu’elle a bâtie cette fois. Plus vraie que nature, elle met le spectateur dans la peau d’un manifestant au pied entaillé d’éclats de verre. Et lui fait partager les angoisses d’une dessinatrice bobo au coude en miettes et dont la vie professionnelle et personnelle a basculé le temps d’une soirée. Dans cette Cour des miracles, les seconds rôles sont à l’avenant : vieille dame perdue qui s’éteint doucement, bébé oppressé, quadra en arrêt cardiaque, psychotique en pleine décompensation…
On est en mai 2019, bien avant la crise sanitaire, mais déjà à la confluence de deux conflits majeurs, celui des gilets jaunes qui faillit faire basculer Macron et d’une très longue grève hospitalière qui aurait bien pu emporter Buzyn. Occasion pour la réalisatrice de zoomer sur les maux du secteur avec un réalisme décapant : personnels débordés, manque de lits d’aval, blocs saturés, accès incertain à l’imagerie… Les séquences sanitaires – vomissures, blessures, meurtrissures – sont souvent rudes. Et l'allusion aux polémiques de l'époque amène à s'interroger sur la vocation du système de soins. Le personnel devait-il participer au fichage des manifestants blessés ? Fallait-il ouvrir les portes aux les protestaires du 1er mai qui avaient pénétré l'enceinte de la Pitié Salpêtriere ?
Drôle d'endroit pour une rencontre, en réalité : avec ces soignants qui font pour le mieux, mais n’en peuvent mais, des malades qui patientent, leurs proches qui s’impatientent… Et c’est pourtant là, dans ces accueils hospitaliers, que les vies se dénouent, que les histoires se côtoient et parfois se racontent. Tranches de vies en instantané qui viennent rappeler que les urgences sont non seulement un condensé des dysfonctionnements du système de santé, mais aussi un révélateur des problèmes de nos contemporains. Tous les milieux, toutes les pathologies sociales s’y concentrent. Et c’est peut-être pour ça aussi que les éruptions y sont à la fois si fréquentes et si soudaines : qu'il s'agisse de grèves comme à Laval, Poitiers ou Boulogne dernièrement ou d'agressions dont les soignants font si souvent les frais. Comme si, ici encore plus qu'ailleurs, l’hôpital n'avait décidément pas le droit de se moquer de la charité.
Exergue : Les urgences sont non seulement un condensé des dysfonctionnements du système de santé, mais aussi un révélateur des problèmes de nos contemporains.
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