Commandée fin mai par Emmanuel Macron, la mission « flash » conduite par le Dr François Braun sur les urgences et les soins non programmés a rendu sa copie ce jeudi matin à Élisabeth Borne, première ministre. Dans ce document de 60 pages que « Le Quotidien » a pu consulter, l'urgentiste propose une « boîte à outils » comportant 41 « recommandations » – en amont, aux urgences et en aval – pour éviter un crash cet été. Chaque reco est accompagnée d'indicateurs, afin de décider « de la poursuite ou de l'abandon de ces mesures », au-delà de l'été.
4G de l'heure pour les généralistes régulateurs
Le premier objectif de la mission est de mieux orienter les patients sans recourir aux urgences. D'où une campagne nationale d'information sur le bon usage des urgences. Plusieurs mesures visent à renforcer la régulation dans les Centres 15 et les services d'accès aux soins (SAS), grâce à un recrutement d'assistants de régulation médicale (ARM). « À ce jour, peut-on lire, 10 % des postes d’ARM sont vacants sur 52 Samu-Centre 15, ce qui représenterait 250 à 300 ETP d’ARM au niveau national ». La mission suggère de financer la mise à niveau des effectifs ARM et de reporter la date butoir de leur certification à décembre 2025 au lieu de 2023.
Parallèlement, le statut de collaborateur occasionnel du service public devrait être reconnu pour les médecins régulateurs généralistes en journée. Cela leur permettrait d'avoir « une couverture assurantielle, via l’établissement siège de Samu-SAS ».
En amont toujours, la mission suggère « d'ouvrir le SAS à l’ensemble des professionnels de santé afin de développer des filières directes de prise en charge sans passer par les urgences ». Il s'agit d'intégrer d'autres professionnels de santé dans la régulation médicale pour prendre en charge certaines populations spécifiques (enfants, personnes âgées, femmes enceintes) réduisant des passages inappropriés aux urgences.
Et pour recruter plus de généralistes régulateurs, la mission propose de leur garantir la rémunération forfaitaire de « 4G/heure » (100 euros bruts). « Cette rémunération sera défiscalisée au même titre que les dispositifs de rémunération des régulateurs en horaires de PDS-A (...) », indique le document.
De la même façon, la mission recommande d'accompagner « le déploiement d’ici à l’automne 2022 de l’utilisation de la plateforme numérique du Sas sur tout le territoire national ». Il s'agit de donner aux médecins régulateurs et aux organisations de soins non programmés une vue exhaustive et fluide des plages de consultation disponibles chez les généralistes.
Médecins retraités, remplaçants et infirmiers en renfort !
Autre axe fort : optimiser le temps médical en ville pour mieux gérer les demandes de soins non programmés (consultations imprévues) et éviter les passages inutiles aux urgences. La mission Braun entend faire appel aux médecins remplaçants et retraités.
À cet effet, elle suggère de prolonger l'autorisation de cumul d'activité titulaire/remplaçant au-delà du 1er juillet ». Cet assouplissement a été mis en place durant la crise sanitaire pour mobiliser les libéraux, qui ont participé à la régulation, à la vaccination et aux renforts Covid. Idem pour les médecins retraités qui souhaiteraient reprendre une activité à temps partiel. Pour faciliter le cumul emploi/retraite, la mission suggère de permettre « l’exercice libéral des médecins retraités sans assujettissement Carmf ni Urssaf, dans la limite d’un plafond et sur le modèle mis en place durant la crise sanitaire Covid-19 ».
Autre incitation attendue, la mission recommande d'attribuer « à titre dérogatoire et temporaire », un supplément de 15 euros pour tout acte effectué par un médecin libéral, à la demande de la régulation Samu/SAS, pour un patient hors patientèle, dans la limite d'un plafond hebdomadaire.
Elle suit ausi une vieille demande syndicale en proposant « d'élargir le principe de permanence de soins ambulatoire (PDS-A) au samedi matin dans le cadre d’une réponse organisée et formalisée » et de maintenir la prise en charge à 100 % des téléconsultations sur l'été.
La mission préconise par ailleurs de mobiliser les infirmiers libéraux volontaires pour assurer une réponse aux soins non programmés à la demande de la régulation médicale du Samu-SAS, une façon de renforcer la réponse libérale à domicile.
Unités mobiles, assouplissement des protocoles de coopération…
La feuille de route propose aussi de déployer des unités mobiles de téléconsultations à l'instar de ce qui a été fait dans la Manche. Dans ce dispositif, un véhicule dédié intervient avec un secouriste et un IDE pour réaliser – sur demande du Samu-Centre 15 – une téléconsultation avec un médecin libéral.
Dans les territoires fragiles, la mission propose de « simplifier radicalement pour l’été la mise en application des protocoles de coopération entre professions de santé sous coordination médicale ». Depuis mars 2020, six protocoles de coopération ciblant des pathologies courantes simples de l’enfant et de l’adulte sont autorisés permettant aux professionnels délégués de prescrire traitements et examens.
Développement des médecins correspondants du Samu
Pour la prise en charge des urgences vitales, la mission préconise de prioriser le maintien au sein des établissements d'« une ligne de Smur mutualisée avec les urgences », lorsque le volume d’activité le permet. Autre préconisation : développer les médecins correspondants du Samu (MCS) dans les zones sous-denses. Ce concept favorise l’installation de nouveaux médecins dans les secteurs fragiles, grâce à leur « intégration dans un réseau » et à la sécurisation de leurs interventions.
En l'absence de médecin urgentiste sur un territoire Smur, la mission envisage que l’équipe d’intervention hospitalière ne soit composée que d’un ambulancier et d’un infirmier (équipe paramédicale de médecine d'urgence). Ce mode « dégradé », parfois décrié, a été mis en avant par le Dr Thomas Mesnier, député urgentiste de la Charente.
Réguler l'accès aux urgences !
Pour préserver les équipes des services d’urgence, souvent épuisées, la mission propose de limiter leur activité en la concentrant sur leur plus-value. Alors que, selon la Drees, « 20 à 30 % de l'activité des urgences » est liée à des pathologies qui relèvent de la médecine de ville ou de conseils, la mission appelle ouvertement à « réguler les admissions en service d'urgence », une idée qui faisait chemin depuis des semaines. Comment ? Soit par un triage paramédical à l’entrée (avec un forfait de réorientation structuré vers la ville ou l'hôpital), soit par une régulation médicale préalable systématique par le Samu ou le SAS. Cette proposition était réclamée par la quasi-totalité des syndicats de libéraux et d’hospitaliers et par l’Ordre des médecins, mais décriée par l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf).
La mission ajoute qu’il faut « autoriser la suspension d’activité partielle d’un service d'urgence dans une logique territoriale ». En clair, mutualiser les moyens de plusieurs services d’urgence sur un site, dans des horaires prédéfinis, afin d'optimiser les ressources d’un territoire.
Des effectifs renforcés
Le soutien des effectifs aux urgences, en forte tension, est aussi érigé en priorité. Pour y parvenir, la permanence des soins en établissement (PDS-ES) doit être assurée « à l’échelle d’un territoire » par l’ARS, en impliquant spécialistes privés et publics. L'ARS deviendrait la garante pour l’été « d’une équité de PDS-ES tant pour les services d'urgence que pour des spécialités de deuxième ligne (gynéco-obstétrique dont les sages-femmes, radiologie, psychiatrie, chirurgie) », indique le rapport. L'ARS s'appuiera sur les URPS médecins pour l’offre libérale, en permettant « la désignation individuelle de médecins libéraux pour la PDS-ES ».
Les auteurs préconisent aussi d’autoriser les docteurs juniors (internes thésés en fin de cursus) avec licence de remplacement à travailler à l’hôpital public – actuellement ces licences délivrées par l'Ordre ne sont valables qu'en ville – et de leur accorder le droit au temps de travail additionnel (TTA), donc le paiement des heures sup'.
Plus globalement, le rapport veut faire appel à toutes les bonnes volontés pour passer l'été : participation des pompiers à l’activité des urgences, prolongation de l’autorisation d’exercice des Padhue (dont le dossier n'a pas encore été validé par la commission d'exercice), appel aux libéraux volontaires pour participer à l’activité hospitalière (avec une rémunération forfaitaire à la vacation.
Reconnaître enfin la pénibilité
La reconnaissance de la pénibilité fait l'objet de plusieurs mesures, en écho aux demandes de la profession. Dans l'immédiat, elle propose de doubler (pour les trois mois d'été) l’indemnité de sujétion de nuit et des heures de nuit pour les médecins et le forfait de nuit mensuel pour les paramédicaux, et ce « en attendant une négociation globale sur la reconnaissance de la pénibilité ». La même majoration est proposée pour l’indemnité de sujétion pour les deux week-ends de pont du 14 juillet et du 15 août.
En psychiatrie, en pédiatrie et en maternité, secteurs en difficulté, la mission préconise d'accorder le bénéfice de la prime de risque aux centres d’accueil et de crise (ex-urgences psychiatriques), aux urgences pédiatriques et gynéco-obstétricales. En psychiatrie, la mission veut fluidifier les parcours de soins non programmés en incitant à l’organisation de lieux d’accueil intersectoriels, en aval du Samu et des urgences.
Elle invite aussi le gouvernement à s’assurer que les contraintes de garde exigées des urgentistes du privé (nuit, week-end) « sont rémunérées à leur juste valeur ».
En aval, « bed managers » obligatoires et numéros directs
Enfin, pour fluidifier l'aval des urgences, la mission propose « d’imposer » à chaque hôpital une « cellule d’ordonnancement » joignable via un numéro direct diffusé par les URPS à tous les médecins et infirmiers libéraux. « La cellule se charge de faire rappeler le libéral dans les quatre heures par les spécialités concernées, celles-ci devant être en mesure de planifier une hospitalisation avec transport associé », peut-on lire.
Autre mesure réclamée, la mise en place « obligatoire » d’une fonction de « bed manager » dans tous les établissements ayant un service d’urgences. Cette cellule, placée sous la responsabilité du directeur et du président de CME, sera contrainte d’appliquer la politique du « zéro lit-brancard » : aucun patient ne doit rester plus de huit heures dans un service d'urgences alors qu’il doit être hospitalisé.
La mise en place d’une « gestion territoriale des lits d’aval », sous la responsabilité de l’ARS, avec projection à trois semaines, est réclamée. Alors que la communauté gériatrique demandait des mesures spécifiques, la mission prévoit de « libéraliser » l’hébergement d’urgence en Ehpad, afin que les 15 jours après une hospitalisation puissent se faire sous le régime de l’hébergement temporaire.
Reste à savoir maintenant ce que le gouvernement retiendra exactement de cette riche boîte à outils, d'abord à court terme pour passer l'été puis de façon pérenne.
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