Saturées, les urgences hospitalières entre réorganisation permanente et bricolage depuis dix ans

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Publié le 11/07/2024

Dans un contexte de manque chronique de personnel et face à l’afflux de patients, une enquête révèle que les 719 points d’accueil des urgences hospitalières se sont fortement réorganisés et continuent de s’adapter. Fermetures, accès régulé au service, filières directes, gestionnaires de lits… : voici le nouveau visage des urgences et les difficultés qu’elles affrontent.

Avec un nombre quasiment record de passages aux urgences (20,4 millions en 2021), la Direction de la recherche, de l’évaluation et des statistiques (Drees) publie une enquête qui illustre et documente la réorganisation de ces structures depuis une dizaine d’années pour assurer la prise en charge des patients.

Cette enquête « Urgences » – réalisée le mardi 13 juin 2023 sur 24 heures auprès de l’ensemble des services des urgences des hôpitaux et cliniques de France – qui concerne tous les points d’accueil des structures des urgences générales et pédiatriques (hors urgences spécialisées) révèle que le système est en adaptation permanente face aux difficultés devenues chroniques que sont « le manque de personnel pour remplir les plannings 24 heures sur 24, des espaces insuffisants pour prendre en charge les patients et des délais importants pour trouver des lits d’hospitalisation après les urgences ».

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Enquête urgences 2023.

Premier enseignement édifiant : entre mi-mars et mi-juin 2023, environ 8 % des points d’accueil – soit 54 services sur 719* sur tout le territoire, y compris Outre mer – « ont dû fermer complètement une fois, en permanence ou seulement sur certains créneaux horaires ». Sur ces 54 établissements, la quasi-totalité d’entre eux (52) ont fermé au moins une nuit et 23 points d’accueil au moins une fois en journée.

La moitié de ces fermetures sèches concernent les plus petits points d’accueil (40 passages ou moins le jour de l’enquête). Les régions Pays de la Loire, Occitanie et Auvergne Rhône-Alpes sont les plus concernées, avec 9 à 11 points d’accueil qui ont fermé au moins une fois.

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Étude numéro 1305, “urgences hospitalières en 2023 : quelles organisations pour la prise en charge des patients ?”.

Mais au-delà des fermetures ponctuelles, le manque de ressources médicales affecte aussi fortement le fonctionnement même des services – le point d’accueil filtrant par exemple les patients à l’entrée (par un appel préalable au 15, au SAS, etc.). Ainsi, au cours des trois mois précédant l’enquête, « 23 % des points d’accueil » ont instauré un accès régulé (en permanence ou seulement sur certains créneaux horaires).

Des plannings médicaux souvent incomplets

Sur la semaine suivant l’enquête, 19 % des points d’accueil ont eu au moins une ligne de travail clinique posté non pourvue en raison de l’absence imprévue d’un praticien (créneau horaire sur lequel un nom de médecin donné était inscrit) . Une carence qui peut conduire à la fermeture…

Et 17 % des services sont situés dans un établissement qui a déclenché au moins une fois le plan « Hôpital en tension » durant la semaine de l’enquête (ce qui signifie une cellule de veille qui prend des mesures face à une hausse d’activité difficile à gérer).

Accueil et orientation : le triage s’est généralisé… mais souvent sans médecin

Pour fluidifier les flux aux urgences, 95 % des points d’accueil bénéficient désormais d’un poste d’accueil et d’orientation qui gère le triage, système qui s’est donc généralisé en dix ans (74 % en 2013 et seulement 55% en 2002). Les urgences qui reçoivent plus de 80 patients par jour ont tous un tel dispositif – quasiment tous avec une infirmière organisatrice de l’accueil (IOA). En revanche, seuls 16 % des points d’accueil bénéficient d’un médecin d’accueil et d’orientation (MAO) aux côtés de l’infirmière d’accueil, un taux en légère augmentation en dix ans.

La prise en charge des personnes âgées se révèle très hétérogène. Leur admission directe en hospitalisation non programmée (sans passer par les urgences) n’est prévue de manière organisée que pour seulement 52 % des points d’accueil des urgences générales et adultes (et dans 38 % des établissements de façon épisodique). La présence d’un gériatre posté aux urgences reste l’exception : elle n’existe que pour 5 % des points d’accueil.

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Étude numéro 1305, “urgences hospitalières en 2023 : quelles organisations pour la prise en charge des patients ?”.

Quant à la prise en charge des enfants, l’organisation est aussi très variable. Là encore, seulement 6 % des urgences générales (qui pourtant prennent en charge les enfants dans 91 % des cas ) comptent un médecin pédiatre posté dans le service. Mais 56 % des points d’accueil des urgences générales disposent du moins de protocoles formalisés de prise en charge pédiatrique et 53 % peuvent faire appel à un pédiatre de l’établissement.

L’accès au psychiatre difficile, du mieux en imagerie

Côté santé mentale, un psychiatre est posté dans seulement 17 % des points d’accueil des urgences générales et adultes (les urgences psychiatriques ne font pas partie de l’enquête). Constat difficile, la moitié des points d’accueil ne disposent d’aucun psychiatre pouvant intervenir aux urgences.

Certaines prises en charge très particulières se révèlent difficiles, voire impossibles. Seuls 26 % des points d’accueil des urgences non pédiatriques déclarent qu’il existe une unité neurovasculaire (UNV) au sein de l’établissement, permettant de la prise en charge des personnes victimes d’un AVC. Et au total, 34 % des sites ne disposent ni d’une UNV sur place ni d’une organisation spécifique de prise en charge des AVC par thrombolyse aux urgences.

L’équipement en imagerie s’est lui, nettement amélioré. La quasi-totalité des points d’accueil des urgences disposent d’un scanner sur le site (97 % vs 92 % dix ans plus tôt). Et 81 % des points d’accueil sont situés sur un site équipé en appareil IRM (avec le plus souvent une priorité d’accès). En l’absence d’un radiologue sur site, la télé-imagerie apporte une aide précieuse. Deux tiers des points d’accueil des urgences y ont recours. Pour 28 % des points d’accueil, ce recours est possible « à tout moment ». Pour 37 %, il est utilisé uniquement en soirée et les week-ends.

Gestion des lits d’aval, l’équation toujours compliquée

Quant à la recherche de lits d’aval pour les patients devant être hospitalisés, problématique majeure, l’indicateur de prévision ad hoc généralisé en 2019 – le besoin journalier minimal en lits (BJML) – est désormais identifié clairement par un peu plus de la moitié des points d’accueil. Plus de la moitié d’entre eux (56 %) disposent de personnel dédié, à savoir des gestionnaires de lits (versus 22 % en 2013). La hausse de la présence de ces bed managers est particulièrement notable dans le secteur public…

*Près de 70 % des points d’accueil sont des urgences générales, 17 % des urgences pédiatriques et 15 % des urgences adultes, couplés avec un point d’accueil pédiatrique


Source : lequotidiendumedecin.fr