Cheveux blonds en bataille, regard bleu fatigué mais tenace, air maussade. Sur sa blouse : « Soignants maltraités, patients en danger ». En ce jour de manifestation nantaise de septembre 2019, Florian est déçu : il n’y a pas beaucoup de collègues mobilisés. Huit mois plus tard en revanche, les soignants du public et du privé battent le pavé en nombre dans la cité des Ducs. Différents collectifs (Inter-urgences, Inter-hôpitaux, etc) ont réussi à mobiliser. Hissé sur la pointe des pieds, il admire le cortège de plus de 5 000 soignants, depuis l’Hôtel-Dieu jusqu’au Miroir d’eau. En marchant, c’est un flot ininterrompu, animé par une colère froide : la tension permanente aux urgences, le manque de lits, l’épuisement des soignants, l’attente insupportable pour les patients.
Un grand bavard, il l’avoue. À l’âge de 15 ans, c’est en regardant un épisode de la série « Urgences » et en assistant à son premier déchocage télévisé qu’il se découvre une vocation médicale. « Un peu banal », commente-t-il, rigolard. C’est aussi le décès brutal d’une amie de sa mère, d’un cancer, qui crée le déclic. Son père architecte, et sa mère, professeur de français puis DRH le soutiennent. Pas ses profs de lycée, qui le découragent d’emblée. « Je suis allé en prépa en me disant que je n’aurais jamais le concours ». Bilan : reçu du premier coup, après une année « d’abnégation totale » à la fac de médecine de Caen.
Addict aux missions en Afrique
Le CHU normand fonctionne à flux tendu et les externes sont des ressources humaines précieuses. Florian s’investit à fond dans les stages et prend toutes les gardes possibles. Tant pis si les cours théoriques passent souvent à la trappe : lui, ce qu’il aime c’est la pratique. Mais exercer dans un autre contexte, dans un pays en développement, l’obsède encore plus. « J’adore perdre pied en descendant d’avion, ne plus avoir aucun repère. C’est hyper stimulant et ça devient une espèce d’addiction ». Cambodge, Mali, Cameroun… Il enchaîne les stages aux quatre coins du monde. Et se retrouve dans des situations extrêmes. « À Yaoundé en 24 heures, j’ai vu quatre jeunes filles cachectiques, âgées de 16 à 20 ans, mourir littéralement devant moi, du SIDA sans doute. Je me suis retrouvé dans des situations trop graves et choquantes pour mon niveau de formation, face à des patients très malades, sans aucun support logistique, technique ou humain ». Le moment d’un premier échappatoire dans d’écriture : il couche sur le papier un récit du quotidien dans ce service.
« Faussement désinvolte »
Après avoir fantasmé, comme nombre d’étudiants en médecine, sur la chirurgie, il choisit finalement la médecine d’urgence. « C’est le premier contact avec le patient, que ce soit pour de la petite traumatologie ou une recherche de diagnostic plus fouillée, c’est ça qui me plaît ». En 2010, il débarque à Nantes. Atterrissage un peu difficile cette fois… « J’étais « faussement désinvolte », selon mes chefs. « J’ai mis du temps à obtenir leur confiance, sûrement parce que j’avais un certain mépris du protocole », explique-t-il. Un détachement, une protection, suite à ses expériences difficiles en Afrique ? Sans doute. Pas dégoûté, loin de là, il repart au Congo-Brazzaville en stage VIH-SIDA. « Là, c’était avec la Croix-Rouge, tout était bien organisé, il y avait des médicaments de première ligne disponibles ».
À l’issue de l’internat, le chef de service d’infectiologie nantais lui propose d’être moniteur d’étude clinique à la consultation VIH-SIDA. « Je reçois les nouveaux patients, principalement originaires d’Afrique sub-saharienne et je découvre leurs difficultés pour obtenir leur carte de séjour ou le droit d’asile ». Tout prend sens pour lui. Il peut enfin aider ses patients avec les moyens ad-hoc des hôpitaux français, mais aussi sur le plan administratif. Un cap dans son engagement militant.
Une politisation progressive
La dégradation des conditions de travail aux urgences, qu’il vit au jour le jour, le pousse à s’investir. « Quand j’étais externe, les urgences se vidaient la nuit. Aujourd’hui les patients doivent patienter en moyenne 4 à 6 heures avant de voir un médecin ». Une question le taraude : comment l’hôpital en est-il arrivé à ce point de rupture ? Grâce à de nombreuses lectures et discussions avec ses collègues, il décrypte les outils de gestion hospitalière et leurs noms de code barbares : PPP, T2A, ONDAM, etc. Et comprend par quels mécanismes ils ont contribué à dégrader la prise en charge des patients et les conditions de travail des soignants.
En 2019, la colère gronde dans de nombreux services d’urgence et les grèves s’enchaînent. Florian adhère à l’AMUF fin 2018 puis rejoint la CGT en 2019. Il est invité à prendre part à l’AG du collectif inter-Urgences qui se tient en mai 2019 à Paris. « Les soignants de différents hôpitaux témoignent pendant des heures, ça fait froid dans le dos. Je réalise que les conditions de travail à Nantes sont loin d’être les pires ! Ailleurs, ils plantent des clous dans les murs pour suspendre des perfusions et installer des patients dans les couloirs », raconte-t-il. Six mois plus tard, lors d’une réunion du collectif Inter-Urgences à Nantes, une collègue de médecine interne lance l’idée d’un livre mettant en accusation les ministres ayant conduit à cette situation. Florian vient de lire La casse du siècle. Séduit par l’idée, il se lance dans l’écriture.
« Allez, je convoque Alain Juppé »
« Je me souviens de mon premier jour d’écriture. Devant mon ordinateur, je me suis dit "bon allez, je convoque Alain Juppé à la barre". Au même moment, j’ai pensé : "c’est un peu délirant comme idée !" » C’est justement cette forme de saynètes devant le tribunal qui fait mouche. Un ton satirique certes, mais un contenu très instructif, qui donne des clés sur l’histoire et le fonctionnement de la protection sociale. « Je profite à fond de ma liberté d’expression dans ce livre », commente-t-il, pas si intimidé finalement. Écrire l’aide à tenir et à diminuer son niveau de colère concernant l’évolution de l’hôpital. Une catharsis. Pour le moment, l’ouvrage est en accès libre sur le blog de Mediapart mais il espère trouver un éditeur bientôt. Depuis 2018, Florian est praticien contractuel aux urgences de Nantes, sur le GHT. « Je pense que je ne suis pas prêt d’être titulaire, mais c’est le cas pour beaucoup d’autres PHC. On nous dit que pour durer à l’hôpital, il ne faut pas faire de bruit, rester discret… Je ne pense pas être capable d’aller travailler dans le privé pour avoir de meilleures conditions de travail. Le sens de mon travail, comme pour beaucoup de soignants, c’est d’accueillir tout le monde. Pas de sélectionner les patients ».
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