Humiliation, acharnement, abus de pouvoir, exploitation et surtout omerta : dans un ouvrage choc*, nourri de 130 témoignages parfois glaçants, le Dr Valérie Auslender, généraliste attachée à Sciences Po, alerte sur un sujet tabou : la maltraitance des étudiants en santé à l'hôpital (futurs médecins, infirmières ou aides-soignantes).
Seuls quelques travaux solides se sont intéressés à la problématique des violences subies par les étudiants en analysant non pas les causes mais les symptômes. En mai 2016, l'Ordre des médecins a dévoilé une enquête auprès de 7 858 carabins et jeunes médecins, illustrant leur souffrance : 14 % des sondés déclaraient avoir déjà eu des idées suicidaires. Le « JAMA » a publié en décembre 2016 une étude auprès 129 000 étudiants en médecine dans 47 pays. Un tiers d'entre eux souffrent de dépression ou symptôme dépressif et la prévalence d'idéation suicidaire serait de 11 %.
Certes, la formation initiale en milieu hospitalier est en soi brutale, dès les premières années. Soumis à une compétition intense, sous pression de leur hiérarchie et ne comptant pas leurs heures, les étudiants en santé côtoient la maladie, la souffrance et la mort. Il n'empêche : les dizaines de récits douloureux rassemblés par le Dr Auslender (lire ci-contre) dépassent de loin le cadre du folklore carabin ou de la mise à l'épreuve.
Pas de place pour les larmes
« La difficulté réside dans la capacité de sortir les internes de la résignation par rapport à ces situations de violences, explique Stéphane Bouxom, porte-parole de l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG). L'interne victime souffre sans se rendre compte que la situation est inacceptable et qu'il peut/doit la dénoncer. La culpabilité ou la peur des conséquences y est pour beaucoup ».
Consulté à titre d'expert, le Pr Didier Sicard, président d'honneur du Comité consultatif national d'éthique, juge ce silence dramatique. « Ce métier qui expose plus que n'importe quel autre à des souffrances psychiques est totalement démuni de l'accueil psychologique que la société propose désormais à toute situation qui suscite l'effroi. (...) L'émotion doit être tue. Il n'y a pas de place pour les larmes à l'hôpital ».
Verbaliser, extérioriser
Plusieurs initiatives ont fleuri récemment pour dénoncer les abus à l'hôpital. « Paye ta blouse », un blog qui publie les témoignages de sexisme en milieu hospitalier, offre un exutoire salutaire aux carabins. Plus de 150 récits sous forme de phrases chocs ont déjà été révélés par les deux fondatrices du site, externes en 5e et 6e année de médecine.
Les syndicats d'internes nationaux (ISNAR-IMG et ISNI) ou locaux mettent la main à la pâte. Au moins huit cellules d'écoute et de soutien (Paris, Marseille, Nice, Montpellier, Nancy, Rouen, Bordeaux, Brest) ont été mises sur pied en deux ans pour venir en aide aux externes ou internes en souffrance. « Ces violences touchent l'intégralité des étudiants en santé, affirme Olivier Le Pennetier, président de l'Intersyndicat national des internes (ISNI). Il y a un réel besoin. Les jeunes en parlent un peu plus car ils ont été sensibilisés au risque suicidaire désormais présent et médiatisé ».
Le management visé
L'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) affirme que « la culture médicale doit changer », mais aussi les méthodes de direction à l'hôpital. « Il faut repenser les systèmes de management des services, les rôles et les compétences de chacun, l'accompagnement en stage et surtout le temps que peut allouer un maître de stage aux étudiants », précise Clément Le Roux, chargé de la santé globale à l'ANEMF.
Le chemin sera long. En décembre, Marisol Touraine a exposé un plan d'action pour améliorer la qualité de vie au travail des soignants hospitaliers. Il prévoit pour les internes un guide de prévention sur les risques psychosociaux. Sa publication se fait attendre. « Une belle annonce mais rien de concret », tacle Olivier Le Pennetier.
« Omerta à l'hôpital », Ed. Michalon, 318 pages, 21 euros.
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