8 h 30, le soleil se lève à peine sur la salle de réunion du CHU de Bordeaux. Une dizaine d'internes et d'externes du service des maladies infectieuses de l’hôpital Pellegrin sont réunis autour du Pr Charles Cazanave, chef de service, pour le staff matinal.
Une interne dresse le récapitulatif de la nuit. Entre une encéphalite herpétique, une infection à Pseudomonas aeruginosa et un patient tuberculeux arrivé la veille, les cas s’enchaînent. SARM, IPOA… « Vous avez du mal à ne pas parler en sigles », relève devant les étudiants le Pr Cazanave, qui dirige le service d’une trentaine de lits, dont la moitié est occupée, ce 20 janvier, par des patients Covid, comme ce patient de 75 ans pour lequel l’équipe cherche désespérément une place en soins de suite et réadaptation. « Ça fait 20 ans qu’on demande », ironise le chef de service. Le cas sera discuté plus tard au staff médico-social.
63 ans, 38 ans, 68 ans… Une grande partie des patients Covid hospitalisés ce jour-là ne sont pas vaccinés. Pour certains, comme ce trentenaire sous oxygène, l’équipe propose une inclusion dans le protocole Discovery pour délivrer des anticorps monoclonaux. La question se pose aujourd’hui pour une malade de 37 ans, transplantée rénale et vaccinée. « C’est le troisième transplanté dans le service qui ne répond pas au vaccin », précise le Pr Cazanave. Dans la nuit, deux patients ont été transférés en réanimation. Par manque de place, les réas chirurgicales ont mis des lits à disposition. « Ils nous dépannent quand il n’y a plus de lit en réa médicale », confirme la cadre de santé.
Covid nosocomial
Après 20 minutes de staff, c’est au tour de Kevin Salles de faire le bilan de ses patients. À 26 ans, l’interne en rhumato réalise son stage de troisième semestre – « hors filière » – dans le service d’infectio. Depuis janvier, Kevin grimpe tous les jours au 7e étage du CHU visiter les patients admis en infectiologie mais détachés dans le service de chirurgie orthopédique, par manque de places.
À 10 heures, l’interne originaire du Pays basque se rend donc dans les chambres de trois patients. Des malades hospitalisés, souvent depuis des mois, « et proches de la sortie », comme ce patient paraplégique, admis pour une fracture du fémur dont l’os sortait par une escarre. Allergique à l’antibiotique prescrit, le patient avait développé une toxidermie pendant le week-end. « Ça a bien évolué », annonce Kevin au patient, photo sur le smartphone à l’appui.
Au détour d’un couloir, l’interne apprend que l’un de ses patients de 80 ans, hospitalisé pour un hématome surinfecté depuis plusieurs mois, vient d'être positif au Covid. Une infection nosocomiale. Charlotte, surblouse et FFP2 de rigueur, l’interne pénètre dans la chambre du malade pour lui annoncer la nouvelle. « J’appellerai son fils pour le prévenir dans l’après-midi », lance l’interne, interrompu entre-temps par une demande d'avis téléphonique.
« Bien loti » à 60 heures par semaine
« Soigner des patients Covid ? C’est assez répétitif… », souffle Kevin, qui rêve de se spécialiser en rhumatologie inflammatoire, « une discipline très variée, très clinique » qu’il a découverte à l’occasion d'un stage à Bayonne. Après avoir passé « l’ECN Covid », épreuve décalée d’un mois à cause de la pandémie, Kevin n’a « connu que le Covid dans [s]a formation ». Avec un temps de travail hebdomadaire de 55 à 60 heures, l’interne se considère « bien loti, plutôt chanceux car certains de mes amis sont autour de 80 heures par semaine, avec parfois des repos de garde qui ne sont pas respectés, c’est scandaleux ». Travailler 48 heures maximum comme le prévoit la loi ? « Je ne sais pas si on pourra y arriver un jour, il faudrait changer tout le système et il faudrait deux fois plus d’internes », avance le carabin, qui préférerait que l'on commence par reconnaître le nombre d’heures travaillées par les jeunes : « Ce sera déjà ça, pour payer les heures supplémentaires ».
Une journée d’hospitalisation pour un interne, c’est « un peu de médical et beaucoup de prescriptions, d'administratif, d’appels aux services », raconte Kevin. Après une heure de visite, il s’installe dans un bureau pour répondre aux demandes d’avis médicaux. Interactions médicamenteuses, résultats d’antibiogrammes… Du lundi au vendredi, le service reçoit sur cette plateforme les demandes de confrères hospitaliers et libéraux sur des cas particuliers, compliqués. « Avant ça n’existait pas, les chefs n’en pouvaient plus d’être appelés en permanence », témoigne l’interne, qui synthétise les requêtes et échange avec ses confrères sur les cas patients. « J’apprends beaucoup ».
« On a déjà beaucoup donné »
À deux mois de la présidentielle, Kevin espère davantage de moyens pour l’hôpital. « Il faut arrêter de fragiliser le système de santé, souligne-t-il. La santé devrait être un droit pour tous. » « On a besoin de moyens pour les personnels, les infirmiers, les aides-soignants, les sages-femmes et les médecins », ajoute l'interne qui constate des cas croissants d’épuisement chez les paramédicaux. Quant au débat sur la coercition à l’installation, il recadre : « On en demande déjà beaucoup aux internes, je ne trouve pas que nous sommes redevables envers l’État. Après 9 à 12 ans d’études, on a déjà beaucoup donné. »
Juste après l’élection présidentielle, en mai prochain, Kevin débutera un nouveau semestre, cette fois-ci en rhumato, certainement en établissement périphérique. « Je touche du bois pour avoir Bayonne », sourit le jeune basque.
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