Les irréductibles de la ROSP, ces 3% de médecins généralistes qui ont dit non au paiement à la performance à la fin de l’année 2011 sont-ils si différents des autres ? Une thèse de médecine consacrée récemment à la question a tenté d’y répondre. Pour y arriver, la jeune femme qui a soutenu sa thèse à Montpellier le 21 janvier a dû emprunter des chemins détournés. Pas moyen, explique en substance Andriantsehenoharinala Lanja d’obtenir de la part des caisses les noms des "impertinents" qui ont tourné le dos délibérément à la Rémunération sur Objectifs de Santé Publique (ROSP). Elle est donc partie des signataires d’une pétition hostile à ce qu’on appelait encore le P4P, lancée par la Coordination 29 et a travaillé ensuite sur la base de questionnaires retournées par 62 généralistes, phase complétée ensuite par des entretiens téléphoniques avec 13 d’entre eux.
Ils avaient déjà dit non au Capi
Sur le papier, les différences ne sont pas criantes entre ces "Docteurs Niet" et le reste de leurs confrères. Tout au plus relève-t-on une moyenne de durée de consultation un peu plus longue (19 contre 17 minutes), mais c’est du déclaratif. Et sans doute une plus forte proportion de praticiens à exercice mixte, ce qui - si cette singularité était confirmée- pourrait évidemment expliquer la plus grande indifférence de cette catégorie aux quelques milliers d’euros procurés chaque année par la ROSP. Pour le reste, en bonne logique, la thèse remarque que les médecins réfractaires à la ROSP étaient tous auparavant des non signataires au Capi. Par idéologie sans doute, mais pas par refus de toute contractualisation avec la Sécu, puisque 27% d’entre eux avaient été médecins référents dans une vie conventionnelle antérieure...
Critiques, méfiants, mais pas isolés
Le portrait robot de l’anti-Rosp révêle enfin un médecin bien inséré dans sa profession, 40% de l’échantillon participant d’une manière ou d’une autre à leur département universitaire de médecine générale. Et beaucoup ayant l’habitude de fréquenter association de FMC ou de s’exprimer sur internet. Bref ! Des médecins "normaux"... En fait, à lire la thèse, ce qui constitue leur dénominateur commun, c’est plutôt une défiance commune, tant vis-à-vis de l’Etat que la Sécu.
Au-delà de cette description populationnelle, l’intérêt du travail de la jeune généraliste tient surtout à l’analyse des critiques qu’ils font au dispositif mis en place il y 18 mois. La grande majorité des médecins généralistes interrogés met d’abord en doute les effets mis en avant par la Sécu concernant l’amélioration des pratiques ou de la qualité des soins. "Ça me fera pas avancer sur ma démarche au quotidien. Moi, j’ai besoin de réagir sur les dossiers patients, sur les dossiers de chaque patient. Et pas globalement, explique l’un. Quand un autre redoute les conséquences délétères sur la relation médecin-malade : "Ça va modifier le comportement du médecin dans la mesure où le mauvais malade, celui qui ne fait pas bien son HBA1C, celui qui veut pas arrêter sa benzodiazépine longue durée, celui-là, il va être pris en grippe !" Un troisième préférant insister sur les effets pervers du suivi prioritaire de certains indicateurs : "Si on se met à suivre des indicateurs au lieu de suivre des patients, ça va avoir un impact négatif sur une partie des patients, parce qu’il y a une partie des patients (et à mon avis elle est plutôt large) qui ne rentre pas dans les moules déterminés sur des dossiers statistiques. Et du coup, il y a un grand nombre de patients pour qui appliquer la recette, la recommandation, c’est une bêtise. »
Certains confrères avancent aussi des arguments déontologiques moraux et ont refusé cette nouvelle dynamique au nom d’une certaine conception de la médecine de famille :"Et puis moi je serais patient, et puis j’irai voir un médecin dont je sais qu’il a touché un petit bakchich, accepté une petite gratification, j’aurai pas une très haute opinion de lui-même. Ce médecin, pour moi, il serait suspect," assène un praticien du panel.
La Sécu se mêle de tout...
Deuxième grand type de critiques : la crainte d’une prise de pouvoir de l’assurance maladie. "Je pense qu’ils veulent augmenter la pression sur les médecins. Je pense que c’est aussi un test pour voir si les médecins peuvent obéir au doigt et à l’œil, » lâche un généraliste. "C’est pas à la Sécu de nous évaluer", renchérit un confrère. Nombre de récalcitrants accusent par ailleurs les caisses de les instrumentaliser : "J’aime pas qu’on me parle sur ce ton là surtout quand il s’agit de faire le travail de la Sécu, sous la contrainte, à mes frais et sous ma responsabilité," souligne un des praticiens enquêtés. Et la méfiance s’étend aussi à l’impartialité de l’Assurance maladie, perçue comme juge et partie à la fois :"Ils manipulent les chiffres, ils font ce qui les arrange..."
Des critères contestés
Nombre des médecins protestataires procèdent enfin à une critique de fond des objectifs retenus. Car la pertinence même des indicateurs contenus dans la ROSP est mise en
[[asset:image:811 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["B.BOISSONNET\/BSIP"],"field_asset_image_description":[]}]]cause par une majorité des médecins interrogés. Témoin de cet état d’esprit, la description par ce généraliste de l’item qui intéresse au dépistage du cancer du sein chez les patientes : "Donc je suppose qu’un jour ou l’autre, il va y avoir un livre qui va sortir `’le scandale des ROSP’’ ou un film ou une émission de télé ou je ne sais quoi où les gens vont dire `’ah là là, les médecins c’est des salauds, ils nous ont trahis, on croyait qu’ils nous soignaient dans notre intérêt, en fait ils touchent des primes en fonction de ce qu’ils font, regardez ça, ils ont irradié des millions de femmes pour rien, ils savaient que ça ne servait à rien, ils l’ont fait quand même’’. Voilà quoi. »
Au total, le malaise, la méfiance et les effets pervers du dispositif résument le sentiment général de ces médecins qui ont dit non, quand toutes les règles du jeu étaient faites pour qu’ils adhèrent tacitement au dispositif...
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