Entretien avec la ministre de la Santé

Marisol Touraine, mobilisation tous azimuts pour l’accès aux soins

Publié le 14/12/2012
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Un peu plus de six mois après son arrivée avenue de Ségur, la ministre de la Santé est satisfaite du travail accompli. Dans l’entretien qu’elle a accordé au « Généraliste », elle place son action sous le signe de « l’accès aux soins pour tous ». Elle affiche une détermination sans faille concernant la régulation des honoraires libres, détaille son « pacte territoire santé » et appelle à la mobilisation générale pour faire reculer les déserts médicaux.

Le Généraliste. Quel bilan faites-vous de vos six mois au ministère de la Santé ?

Marisol Touraine. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a fait de la santé un enjeu prioritaire. En témoigne notamment le budget de la Sécurité sociale, qui progresse en 2013 de plus de 4.7 milliards d’euros. Ce sont non seulement des mesures immédiates, mais également des réformes de structures qui ont été engagées : nous ne pouvons pas nous contenter d’aménager notre système de santé tel qu’il existe, si nous voulons que dans cinq ans, les Français en soient toujours aussi fiers.

C’est précisément pourquoi j’ai lancé un pacte de confiance pour l’hôpital, dont j’attends les conclusions au tout début du mois de janvier. Sans attendre, des mesures ont déjà été prises dans la loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) : c’est la réhabilitation du service public hospitalier. C’est la fin de la convergence tarifaire. Sur les conditions de travail, j’ai déjà demandé qu’un rapport sur le stress au travail soit présenté chaque année au conseil de surveillance.

Cette même loi renforce considérablement les droits des femmes : l’IVG sera remboursée à 100 %. L’accès à la contraception pour les mineures de 15 à 18 ans, sera désormais gratuit et anonyme. Beaucoup de jeunes filles interrompent en effet leur contraception pour des raisons financières.

Plus globalement, de nombreux Français renoncent aujourd’hui à se soigner, parce qu’ils n’en ont plus les moyens. C’est inacceptable. C’est pourquoi nous avons lancé une négociation sur les dépassements d’honoraires. L’objectif était simple : que chaque Français puisse accéder à des soins de qualité indépendamment de sa situation financière. Cet accord permet de répondre à cet objectif, tout en permettant de sanctionner les dépassements abusifs et de plafonner les dépassements. Un contrat d’accès aux soins est proposé aux médecins qui, en échange de la limitation de leurs dépassements, permet à leurs patients d’être mieux remboursés. Son résultat va dépendre de la volonté de limiter les dépassements. Cette volonté, je l’ai.

Enfin, aux obstacles financiers pour accéder aux soins s’ajoutent les obstacles géographiques. Le plan de lutte contre les déserts médicaux, que j’ai annoncé le 13 décembre vise à répondre à cette question primordiale. Primordiale pour les patients, mais également pour la pérennité de notre système : mon approche vise ainsi à renforcer la médecine de proximité, en allant à rebours de l’approche classique qui faisait de l’hôpital le cœur du système de santé.

Concernant l’accord sur les dépassements, parviendra-t-on à sanctionner les abus, avec un seuil maximum de 150 % qui n’est qu’indicatif ? Le nouveau « contrat d’accès aux soins » attirera-t-il les médecins secteur 2 ?

Le point de repère de 150 % est un critère important, mais il n’est pas le seul. Par exemple un médecin ne peut pas pratiquer tous ses actes avec dépassements. Tout bénéficiaire de la CMU – et, à partir de janvier, tout bénéficiaire de l’ACS - a droit aux tarifs opposables. Le 20 décembre, une commission paritaire écrira d’ailleurs noir sur blanc les critères d’application de l’accord.

Je souhaite qu’un courrier soit envoyé par la CNAM dès janvier pour informer les médecins. L’objectif d’un tiers de médecins adhérents au « contrat d’accès aux soins » est ambitieux mais atteignable. Tout le monde doit se mobiliser pour qu’il soit atteint en juillet. L’enjeu est que les patients soient mieux remboursés. Les médecins, qui trouveront des contreparties intéressantes dans ce contrat, seront, j’en suis certaine, sensibles à cet argument.

Êtes-vous inquiète des mouvements chez les jeunes spécialistes et chez les chirurgiens libéraux ?

Je reste surtout à l’écoute. Il y a eu deux mouvements. D’un côté, des syndicats non-signataires de l’accord pour défendre leur liberté tarifaire. Ce mouvement, je crois, n’a pas été compris des Français en cette période de crise. Et puis il y a eu la grève des internes de spécialité – car les internes généralistes n’ont pas appelé à la grève - qui ont mis en avant des revendications sur leurs conditions de travail et d’installation. J’ai rappelé que la liberté d’installation n’était pas remise en cause et nous avons mis en place un groupe de travail pour avancer sur les conditions d’exercice de l’internat. Tout doit être fait pour respecter le repos compensateur des internes. Ce travail a été mis en place dans de bonnes conditions, c’est d’ailleurs pourquoi les grèves ont été suspendues.

Le feu vert aux réseaux mutualistes donné par une récente proposition de loi inquiète aussi certains médecins…

Cette proposition parlementaire reprend un texte de l’ancienne majorité, qui avait été censuré par le Conseil constitutionnel - pour des raisons de forme. Je suis donc étonnée de voir l’UMP s’y opposer de manière véhémente ! Les médecins mais aussi des associations de patients, ont exprimé des inquiétudes. Je les ai entendues. Mais je voudrais rappeler que cette proposition de loi vise à rétablir l’équité entre les assurances privées qui ont la possibilité de créer des réseaux, et les mutuelles. Cette proposition de loi a également pour objectif que, dans les secteurs comme la dentisterie ou l’optique, dans lesquels les organismes complémentaires sont majoritaires pour le remboursement, des conditions de prise en charge plus favorables soient possibles. En revanche, même si des médecins pourront adhérer aux réseaux, les remboursements différenciés ne seront pas autorisés.

Jeudi vous avez présenté votre plan de lutte contre les déserts médicaux. Quels en sont les principaux axes ?

Les déserts médicaux, c’est un des sujets qui préoccupent le plus les Français. En même temps je l’affirme : il n’est pas question de revenir à la médecine des années 70 ou 80. Il ne faut pas développer une nostalgie qui ferait croire à un âge d’or de la médecine, qui n’a pas existé. Travailler seul de 7h30 du matin jusqu’à 23h, être en permanence sur les routes, avoir une femme qui de facto sert de secrétaire… C’était un modèle répandu, mais pas celui du XXIe siècle. J’ai été frappée par les rencontres que j’ai faites au cours des derniers mois, comme par exemple celle avec les blogueurs du mouvement « privés-de-déserts ». Ce sont de jeunes médecins installés depuis peu ou pas encore, représentatifs de cette génération. Ils ne veulent plus faire des semaines de 70 heures, mais avoir des contacts avec d’autres collègues, une vie sociale et culturelle. Or, si vous leur proposez l’exercice solitaire, l’absence de soutien administratif, vous n’avez aucune raison de réussir.

En revanche, il n’est pas acceptable qu’en cinq ans deux millions de Français de plus soient privés d’une médecine de proximité, que l’on ait fermés, de façon systématique des services hospitaliers dans des territoires isolés et qu’il faille attendre six mois pour un rendez-vous chez un ophtalmologiste. J’appelle donc à une mobilisation collective autour d’un « pacte territoire santé », pour que, quel que soit le territoire de résidence, on soit soigné dans les mêmes conditions.

Mon plan se décline en 12 engagements autour de trois grands objectifs : faire évoluer la formation et faciliter l’installation pour les jeunes médecins ; transformer les conditions d’exercice des professionnels de santé ; et investir dans les territoires isolés. La formation, d’abord. Aujourd’hui, un étudiant est formé à l’hôpital, pour l’hôpital et souvent, il n’a pas fait de stage en médecine générale. Je souhaite que cela soit garanti pour 100 % des étudiants en médecine générale. De même, il faudra que nous réfléchissions à ce que les études de médecine appréhendent les relations avec les patients. Des bourses d’engagement de service public, les « contrats d’engagement de service public » ont déjà été proposés, mais ils ont eu un succès mitigé, notamment parce que le dispositif est très peu connu des étudiants. Il s’agit d’accompagner les études financièrement, en échange d’une installation dans des endroits où les besoins sont importants. Je me fixe un objectif de 1 500 contrats de ce type d’ici 2017. C’est un doublement du dispositif actuel. Dans le même état d’esprit nous avons déjà annoncé 200 contrats de praticiens territoriaux de médecine générale dès 2013, qui pourront être plus nombreux par la suite. Ce ne sont pas des médecins salariés. Il s’agit de sécuriser l’installation de jeunes médecins. La mesure a été soutenue par les internes de médecine générale, qui savent qu’au moment de l’installation, on a besoin d’un soutien, notamment financier. En outre, je veux qu’un « référent installation » soit présent au niveau de chaque ARS avec un numéro unique et un bureau dédié.

Au-delà, comptez-vous jouer sur les conditions d’exercice dans les déserts médicaux ?

C’est le deuxième grand axe du plan. Face à l’augmentation du nombre de maladies chroniques, et à l’évolution des attentes de la population, nous devons changer notre conception de l’organisation du système de santé, et faire que la médecine de proximité en soit le pivot. C’est ainsi qu’on attirera les jeunes médecins. Donc, première mesure : rémunérer et généraliser le travail en équipe. Nous avons ainsi prévu un financement spécifique pour la rémunération du travail en équipe. L’idée est de récompenser la coordination. De la sorte, une équipe va pouvoir par exemple se doter d’un secrétariat, si elle le souhaite, ou investir dans des logiciels, ou dans des équipements. Deuxième engagement : développer la télémédecine, notamment en matière de dermatologie. Nous devons aussi accélérer les transferts de compétences, je pense en particulier à l’ophtalmologie. Et puis, il faut alléger la charge administrative des médecins à travers des mesures concrètes.

Je souhaite aussi, afin d’inscrire ces conditions d’exercice, ce travail en équipe et cette médecine de proximité dans une dynamique de progrès scientifique, que soit engagé un travail de rapprochement entre les maisons de santé et les universités, pour y faciliter les activités de recherche et de formation.

Enfin, dernier grand axe de ce plan : investir dans les territoires isolés, pour offrir la garantie d’accéder à des soins d’urgence en moins de trente minutes. Les premières implantations auront lieu dès le début de l’année 2013, avec des structures très différentes : généralistes correspondants du SAMU, nouvelles implantations de SAU…. La montée en puissance se fera en deux ans. En 2015, personne ne devra se trouver à plus de 30 minutes des soins d’urgence. Les hôpitaux de proximité jouent un rôle essentiel dans nos territoires, en particulier dans les zones fragiles et nous devons lever les obstacles juridiques et financiers qu’ils rencontrent pour consolider leur place. Nous devons enfin conforter le modèle économique des centres de santé, car dans certaines zones, notamment dans les quartiers en difficultés, ils constituent la seule réponse. !

Et si ça ne suffisait pas, des mesures plus coercitives sont-elles envisageables ?

La coercition n’est pas une solution.

Qu’est-ce qui vous permet de penser que vous ferez mieux que vos prédécesseurs sur les déserts médicaux ?

Si les mesures qui ont été prises dans le passé n’ont pas réussi, c’est d’abord parce qu’on partait de la conviction qu’on ne pouvait rien faire pour orienter les choix des médecins. Ensuite, il n’y a jamais eu de plan global cohérent. Enfin, la volonté politique faisait sans doute défaut. Je souhaite à travers ce plan appeler à une mobilisation générale contre les déserts médicaux : les médecins, les élus, l’administration…tous sont concernés. Je vais personnellement mobiliser les ARS qui doivent davantage aller à la rencontre des jeunes, et mener une action proactive. Je leur demanderai ainsi des comptes rendus mensuels sur l’évolution de la situation. Implanter des professionnels dans des territoires isolés, voir éclore des maisons de santé où l’on n’y pensait pas spontanément, mettre en place des centres de santé… Tout ça est de l’ordre du possible. Et c’est maintenant que nous devons nous y atteler.

En matière d’éthique, la législation doit-elle évoluer dans les mois qui viennent sur l’autorisation de la recherche sur les embryons, l’accès des couples homosexuels à la PMA ou la fin de vie ?

Nous ne sommes pas face à des sujets de même nature. La recherche sur les cellules souches embryonnaires récemment votée au Sénat me paraît nécessaire. Jusqu’à maintenant cette recherche est interdite sauf dérogation. Il s’agit de l’autoriser, avec des garde-fous. Les chercheurs le disent : il y a là des perspectives en termes de thérapies qu’il ne faut pas négliger. Il ne faut pas que la France prenne du retard.

Pour ce qui est de la PMA, c’est un enjeu important et qui nécessite un temps de réflexion. Sur la fin de vie, le rapport Sicard sera remis le 18 décembre au Président de la République. Il nous faut assurément mieux faire connaître les soins palliatifs, c’est un des enjeux des années futures. Dans le même temps, je suis sensible aux demandes qui s’expriment en faveur d’une fin de vie maîtrisée et digne.

Propos recueillis par Jean Paillard et Giulia Gandolfi

Source : lequotidiendumedecin.fr