Quelles étaient vos motivations en démarrant ce projet en 2014 ?
Dr Yves Gervais : J’ai traversé dans ma carrière des périodes difficiles et j’ai eu le sentiment que la médecine générale avait connu une période noire, en particulier dans les années 1980-1990 où beaucoup d’entre nous ont vu leur activité se réduire et des pans entiers disparaître, au profit de nos collègues spécialistes la plupart du temps. C’est aussi la période où le mouvement généraliste s’est manifesté et s’est traduit finalement par la création d’un syndicalisme autonome et des efforts prolongés et répétés pour obtenir une formation spécifique. En 2010, au cours d’une rencontre sur la démographie médicale organisée par Jean-Pierre Aubert, lui et moi avons constaté que tous les efforts des membres de la profession pour faire reconnaître la discipline n’étaient pas connus des jeunes. C’est ainsi que le groupe d'écriture a commencé à se constituer à l’automne 2014.
Il aura finalement fallu plus de 7 ans de travail. Comment avez-vous mené ce projet ?
Dr Y.G. : Nous avons commencé par un échange d’idées pour explorer les différents axes de travail et, assez rapidement, nous nous sommes arrêtés sur une structure à trois niveaux : institutionnel, formation et recherche, et pratique. Nous avons ensuite travaillé à travers des rencontres de grands témoins et la recherche documentaire. Nous n’imaginions pas que cela nous prendrait autant de temps. Je tiens à citer notamment Pierre Gallois, William Junod et Bernard Bros pour leurs témoignages. Par ailleurs, pour l’aspect documentaire, j’ai eu la chance de disposer des archives du Dr Jean Laroze, qui a fait partie du syndicat des omnipraticiens, créé dans les années 1950, et également de consulter les archives du Généraliste. Par ailleurs, des étudiants ont contribué à notre projet à travers des thèses.
Sur le premier axe de l’histoire de la médecine générale, quelles grandes étapes retenez-vous sur l’évolution dans les relations avec les institutions ?
Dr Y.G. : Il s’agit essentiellement des relations avec l’Assurance maladie, avec plus ou moins en permanence la présence de l’État au second plan. Pendant longtemps, la médecine générale n’était pas considérée, ni même définie. Sa définition n’est apparue qu’en 2009 dans la loi HPST (hôpital, patients, santé, territoires). Il a été extrêmement difficile pour les généralistes d’obtenir une voix spécifique, compte tenu de la vision qu’en avaient les institutions. La réflexion du milieu institutionnel n’intégrait pas une structuration du système de santé à trois niveaux : soins primaires, secondaires et hospitaliers. Par ailleurs, alors que beaucoup de choses se jouaient à travers la convention médicale, il a fallu énormément de temps pour que les généralistes obtiennent une représentativité officielle. Au niveau syndical, il faut noter la création de MG France en 1986, reconnu représentatif en 1989. Et aujourd’hui, les médecins généralistes ont voix au chapitre, avec MG France mais aussi les sections généralistes des syndicats polycatégoriels.
Vous consacrez un axe à la formation et la recherche. Quelle est l’importance des évolutions dans ce domaine ?
Dr Y.G. : Si la partie sur les relations avec les institutions permet de se rendre compte des difficultés rencontrées, il ne faut pas oublier tout le travail réalisé dans le domaine de la formation par les généralistes eux-mêmes. L’émergence d’une formation continue autonome a été le creuset de la formation initiale universitaire. Une formation axée sur les fonctions réelles des futurs médecins généralistes a été capitale. Pendant longtemps, l’absence de choix de la médecine générale par la majorité des étudiants a été la conséquence directe de l’absence de structuration et de la sous-valorisation de la discipline. Le système français était très centré sur une vision de l’hôpital, technique et biomédicale, ce qui ne laissait pas grand place pour faire apparaître un rôle valorisant des généralistes. Il est assez réconfortant que cette perception semble évoluer.
Une partie détaille les évolutions sociodémographiques et de la pratique. Quels en sont les enseignements ?
Dr Y.G. : Nous sommes passés d’une conception individuelle à des pratiques plus collectives, plus coordonnées. La recherche de coordination a été un fil rouge qui s’est traduit par diverses innovations, par exemple à travers la médecine de groupe. Des pratiques plus concertées ont permis aux praticiens de mieux vivre leur métier et de mieux répondre aux besoins de la population. Et l’étape suivante a été l’extension aux généralistes des maisons pluriprofessionnelles dans les années 2010. Un autre aspect de l’évolution repose sur l’activité en réseau, qui répond aussi à un besoin de coordination. Il y a également le développement du salariat en centres de santé. Le mode d’exercice individuel semble s’amenuiser. Enfin, nous notons des évolutions liées à la démographie et notamment la féminisation de la profession.
Au regard de cette histoire de la médecine générale, quels sont les défis pour l’avenir de la profession ?
Dr Y.G. : Beaucoup de chemin a été parcouru. Il y a des sources de satisfaction mais il y a encore des progrès à réaliser. D’une part en matière de formation continue. L’organisation de l’ANDPC se situe complètement en dehors des enjeux de la médecine générale et de sa spécificité. Il est difficile pour la médecine générale dans les conditions actuelles de définir sa place à côté des autres spécialités. L’autre axe de progrès concerne la recherche. Il faut saluer les efforts de recherche des généralistes car ça a été une démarche extrêmement volontaire et originale avec très peu de soutiens institutionnels. La faible prégnance de la notion de soins primaires chez nos décideurs politiques et la situation de faiblesse dans laquelle se trouve la recherche en France expliquent les difficultés rencontrées. Sur ces deux volets, il y a manifestement beaucoup de choses qui doivent progresser.
Les auteurs
Isabelle de Beco ; Anne-Marie Bouldouyre-Magnier ; Guillaume Coindard ; Yves Gervais (coordinateur) ; Jean-François Huez ; Philippe Sopena ; Philippe Van Es
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