La généralisation prochaine de la couverture complémentaire santé à tous les salariés va-t-elle vraiment changer la donne de l’accès aux soins ? On peut vraiment se le demander à la lecture de la dernière étude de l’Irdes (Institut de Recherche et de Documentation en Economie de la Santé) sur le sujet. La loi de juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi impose pourtant à toutes les entreprises, aussi petites soient-elles, de prévoir une couverture complémentaire pour tous leurs salariés à compter de janvier 2016. Si cela ne devrait pas changer grand chose pour les agents des grands groupes, ce devrait être une vraie révolution dans les TPE (Très Petites Entreprises) directement impactées par la mesure et c’est un bouleversement pour le monde des assurances et des mutuelles.
Et si cette réforme était au plan social pour les bénéficiaires un coup d’épée dans l’eau ? Les chercheurs de l’Irdes ne le disent pas aussi brutalement, mais leur analyse le suggère un peu. Ils ont fait fonctionner leur calculette et leurs modèles informatiques ; et ils montrent d’abord que cette réforme, baptisée pour les initiés ANI (comme Accord national Interprofessionnel) aura sans doute « un effet modeste » sur la non couverture en population générale. Qu’on en juge par les évaluations successives qu’ils ont réalisé : alors qu’à ce jour, 5% de la population ne disposent d’aucune couverture complémentaire, ce taux passerait à 4% seulement à la suite de la généralisation de la couverture complémentaire aux autres salariés. Même en incluant une autre catégorie concernée par l’ANI –les ex-salariés au chômage depuis moins d’un an- la proportion ne se réduirait qu’à 3,7%. Il faudrait inclure les ayant-droits de ces deux catégories pour tomber à 2,7% de non couverts.
Au final, entre 80% et 74,5% des personnes sans complémentaire risquent de rester dans cet état après la réforme. Un résultat bien timide, alors que le gouvernement fait de cette mesure –avec le tiers payant généralisé- une de ses réformes sociales emblématiques dans le domaine de la santé. Pour expliquer cela, les auteurs de cette simulation insistent notamment sur les dispenses d’adhésion possibles, par exemple pour les salariés temporaires ou à temps partiel, qui pourraient préférer s’en passer, plutôt que de payer davantage de charges. Même possibilité d’abstention pour les chômeurs de courte durée dont un certain nombre déclineraient eux aussi la proposition…
Au total, la réforme, non seulement ne changera pas grand chose au taux de couverture complémentaire, mais aussi ne corrigera guère les inégalités face à la santé : « après l’ANI, les plus de 70 ans, les inactifs, les individus en mauvaise santé et ceux dont le revenu par unité de consommation est le plus bas resteraient le plus souvent concernés par la non-couverture », prédit en effet l’IRDES, qui ne semble guère surpris par sa trouvaille : « On peut s’interroger sur la réelle capacité de ce dispositif à généraliser la complémentaire santé en France et à en réduire les inégalités d’accès alors même que celui-ci exclut de facto les individus absents du marché du travail, pour une large part, les personnes les plus modestes ou les plus malades. »
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’ANI n’est donc pas forcément le meilleur ami du salarié. Entre les lignes, les économistes suggèrent qu’en la matière, on n’est d’ailleurs peut-être pas au bout de nos découvertes. Car ils évoquent aussi un facteur inattendu, et à ce jour non évaluable : le coût de cette généralisation pour les employeurs pourrait en effet affecter –à la marge, mais à la baisse- les salaires proposés et peut-être les propositions de postes…
Ce ne sont bien sûr que des hypothèses. Mais qui suffisent aux chercheurs de l’IRDES pour insister sur l’importance des autres dispositifs à caractère social, type CMU ou aide à la complémentaire santé (ACS). Tous systèmes d’aides aux plus nécessiteux dont ils préconisent d’ailleurs de relever encore les seuils… De ce point de vue, la prochaine réforme annoncée par François Hollande qui vise à systématiser la couverture complémentaire des retraités sera peut-être plus efficace et socialement plus redistributive. Mais c’est une autre histoire, que l’IRDES n’aborde pas dans son étude…
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