LE QUOTIDIEN : L'UFC-Que choisir reproche au gouvernement son inaction en matière d'accès aux soins. Que répondez-vous ?
AGNÈS FIRMIN LE BODO : Je m'inscris en faux contre cette accusation d'inaction. Face à la désertification médicale, nous avons fait le choix d’une politique du temps long, en supprimant le numerus clausus et en augmentant le nombre de médecins qui entrent en formation.
Ce sont deux décisions courageuses qui permettent de former 15 % de médecins supplémentaires chaque année. Mais ceux-ci n'arriveront sur le terrain que dans huit ans.
En attendant, nous allons être confrontés à douze années compliquées. C’est la raison pour laquelle, dans l’intervalle, nous avons pris des mesures pragmatiques pour agir à la fois sur l'attractivité du métier - avec les hausses de salaire par exemple dans le cadre du Ségur de la Santé -, pour dégager du temps médical et accompagner les médecins de ville dans leur installation. Je pense notamment au plan de recrutement d’assistants médicaux et au développement des délégations de tâches.
Emmanuel Macron avait promis que deux millions de Français supplémentaires auraient accès à un médecin d'ici 2027. Où en est-on ?
2 millions de patients d’ici 2027, c’est le résultat que nous attendons de l’ensemble des actions du grand plan d’accès aux soins que j’ai détaillé à l’été. Rien que sur les patients en ALD, plus de 170 000 de nos concitoyens ont retrouvé un médecin traitant. Ce résultat a été rendu possible par le travail de la Cnam, qui a envoyé des courriers à tous les médecins pour les encourager à prendre davantage de patients en ALD mais aussi grâce à la mobilisation des soignants impliqués dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).
Vous tablez sur 10 000 contrats d'assistants médicaux fin 2024. Nous en sommes à un peu plus de 5 000. Pensez-vous atteindre cet objectif ? Comment ?
Nous ferons tout pour y parvenir. L'enjeu est de convaincre effectivement les médecins de l'intérêt de l'assistant médical, encore inconnu de certains. J’en suis toujours surprise ! Nous allons donc relancer une campagne d'information en partenariat avec la Cnam.
Laissez-moi rappeler deux choses : cet assistant ne remplace pas un infirmier ; il libère deux consultations par jour et par médecin. Avec 1 000 nouveaux contrats signés sur l’année 2023, cela représente 500 000 consultations supplémentaires, ce n'est pas rien !
Nous allons aussi travailler avec les collectivités territoriales pour voir comment agrandir les locaux des médecins afin d'accueillir de nouveaux assistants médicaux.
Enfin, pour accélérer le recrutement, nous avons travaillé avec les branches professionnelles pour réduire de quasiment 30 % la durée de la formation des assistants médicaux, qui va passer de 384 heures à 279 heures sur deux ans à partir du 1er janvier 2024. Nous allons ouvrir 19 centres de formation supplémentaires et œuvrer à la création avec Pôle emploi d’un vivier d’assistants prêts à être embauchés, sans passer par la case formation.
Vous prévoyez 4 000 maisons de santé (MSP) avant la fin du quinquennat. Nous en comptons un peu plus de 2 300. Seuls 20 % de généralistes exercent dans les MSP (sur les 52 000 médecins généralistes). Comment les inciter à intégrer ces structures coordonnées ?
Là aussi, il y a un travail d'accompagnement très en amont des médecins généralistes, porteurs de projets, qui ont la volonté de se regrouper à l'échelle d'un territoire mais ne savent pas comment s'y prendre.
Il s'agit de les aider dans la rédaction du cahier des charges de leur future maison de santé, de leur rappeler par exemple de ne pas oublier le volet logement, en particulier dans les territoires ruraux lorsqu'ils veulent accueillir des internes.
Pour leur faciliter la tâche, nous allons faire évoluer la réglementation. Désormais, lorsqu'une maison de santé perdra l'un de ses deux médecins, elle pourra continuer à garder son statut. On souhaite donner aux collectivités le temps de recruter un médecin. Cette mesure est dans la proposition de loi Valletoux.
Sur les CPTS, Emmanuel Macron a fixé un objectif d'une couverture à 100 % à la fin de l’année 2023. L'objectif ne sera pas atteint. Un médecin sur cinq est adhérent à une CPTS. Comment faire mieux ?
Nous allons atteindre entre 85 et 90 % de couverture. Les quelques territoires restants sont en zone blanche. La dynamique des CPTS est réelle. Les professionnels adhérents sont totalement investis et y trouvent un intérêt, en termes de formation, d'échanges avec les autres professionnels comme le montre le nombre de protocoles de coopération qui ont augmenté. Pour les 10 % restants, on a mis en place des task forces, c’est-à-dire des équipes dédiées, pilotées par les ARS et les CPAM, pour accompagner la création des CPTS. C'est par exemple le cas à Clermont Ferrand, où plusieurs communautés sont en train de sortir de terre.
Vaccination par les sages-femmes, pharmaciens et IDE, prescription d'antibiotiques par les pharmaciens… Est-ce que d'autres délégations de tâches sont à prévoir ?
En deux ans, une vingtaine de délégations de tâches ont été actées. Ma priorité est de les faire connaître. Je le rappelle ici : le médecin traitant reste la pierre angulaire du système de santé.
Nous prévoyons aussi une campagne de communication auprès de la population. Peut-être que le rôle de l'UFC-Que choisir est de faire connaître ces délégations de tâches. Quand l'association dit que les femmes n'ont pas accès aux gynécologues, elle oublie de dire que les sages-femmes peuvent prendre en charge la santé des femmes sur le plan gynécologique. Quand elle affirme qu'il n'y a pas d'accès aux ophtalmologues, elle ne rappelle pas que l'orthoptiste peut assurer certains actes. Arrêtons d’envisager l’accès aux soins par le prisme unique de l’accès au médecin. C’est important de savoir que d’autres professionnels de santé dont les compétences ont évolué peuvent prendre le relais.
La SNCF promet 300 cabines de téléconsultation dans ses gares en 2024. Des élus soutiennent ces initiatives, l'Ordre et les syndicats de médecins sont vent debout. Quelle est votre position ?
Il faut entendre ce que disent les maires : c’est une réponse aux difficultés d’accès aux soins. En tout état de cause, il nous faudra accompagner les collectivités qui veulent les développer. Mais il faut aussi être très prudent sur l’usage de ces cabines de télémédecine, qui ne sont pas si faciles d’utilisation. Il est nécessaire pour les usagers d’avoir à proximité un professionnel de santé qui puisse les accompagner. Notre devoir est de faire en sorte que ces cabines soient une réponse, mais ne deviennent pas l’alpha et l’oméga de l’accès à un médecin dans les territoires sous-dotés.
La semaine dernière à Bagnols-sur-Cèze (Gard), 30 médecins ont fermé la maison médicale de garde sine die pour des raisons d'insécurité. Quelles sont les avancées concrètes de votre plan en la matière présenté à l’automne ?
Nous avons annoncé 42 mesures. La campagne de communication sur la tolérance zéro envers les violences va débuter d’ici mi-décembre. Quant à la création du délit d’outrage qui était très attendu par le monde libéral, il nécessite un passage par la loi. Nous y travaillons en interministériel avec le ministère de l’Intérieur, celui de la Justice et les collectivités territoriales. Nous mettons en œuvre le développement des caméras de vidéoprotection, notamment lors de la construction de MSP. Le travail se fait aussi avec les ARS avec le développement des petits appareils connectés d’alerte et de géolocalisation, type bracelets, que portent les professionnels de santé dans les hôpitaux ou lorsqu’ils se rendent au domicile des patients. Tout cela est en train de se construire.
Lors du congrès national des centres de santé, en octobre, vous avez réaffirmé l'importance de ces structures et promis un grand plan les concernant. Quand sera-t-il présenté ?
Au premier trimestre 2024. J’attends les préconisations du rapport Igas que j’ai mandaté sur le sujet. Je devrais le recevoir d’ici la fin décembre. La proposition de loi de Fadila Khattabi votée en mai 2023 sur l’encadrement des centres de santé a permis d’avancer sur les centres ophtalmologiques et dentaires déviants. On parle là d’argent public et de qualité des soins. Les ARS continuent de mener un travail d’identification d’ampleur.
Vous êtes à la tête du ministère depuis un an et demi. Le récent congrès des maires ruraux les voit désemparés face à la désertification médicale. Que leur répondez-vous ?
Nous voulons partir des territoires, c’est pourquoi je fais beaucoup de déplacements depuis mon arrivée au ministère. Notre rôle, c’est d’être des accompagnateurs et des facilitateurs. Alors oui, il y a un problème de médecins et je ne peux pas dire que demain on pourra le résoudre. Nous savons très bien que nous devons attendre l’arrivée des nouvelles générations pour souffler. Mais nous voulons fidéliser les médecins qui sont en place et inviter ceux qui vont partir en retraite à rester, soit dans le mode du salariat comme certains le veulent, soit pour continuer, avec le cumul emploi-retraite, à pouvoir exercer.
Missions, consultation et diagnostic, prescription : le projet Valletoux sur la profession infirmière inquiète (déjà) les médecins
Désert médical : une commune de l’Orne passe une annonce sur Leboncoin pour trouver un généraliste
Pratique libérale : la chirurgie en cabinet, sillon à creuser
Le déconventionnement tombe à l’eau ? Les médecins corses se tournent vers les députés pour se faire entendre