La chasse à la paperasse fait partie de l’ADN de la Cour des comptes. Lorsque l’institution rend un rapport sur l’organisation des soins de premier recours, un chapitre est fatalement consacré à cette thématique.
La Cour s’interroge sur les moyens de dégager du temps médical aux prescripteurs en allégeant leur charge administrative à deux niveaux : les certificats reconnus comme inutiles (mais qu’on continue à demander aux médecins); et les arrêts de travail de courte durée. « Il faut poursuivre et amplifier les mesures destinées à économiser le temps médical, en réduisant les tâches administratives des médecins », a résumé lundi 13 mai Pierre Moscovici, premier président de la Cour.
20 % du temps médical gaspillé
En se fondant sur une enquête menée au printemps 2023 par la Cnam auprès de 900 médecins, la Cour souligne dans son rapport que « 20 % du temps des médecins généralistes serait gaspillé » à cause de consultations liées à des formalités administratives.
Ces actes mettent « très souvent les médecins en porte-à-faux au regard de leurs obligations professionnelles », expliquent les sages de la rue Cambon. « Ils sont censés ne pas procéder à une consultation dans les cas de certificats sportifs ; ils sont censés refuser les arrêts de travail pour maladie de très courte durée destinés à l’employeur, en l’absence de motif médical suffisant (mais les motifs allégués, souvent peu graves, sont peu vérifiables, surtout à titre rétroactif) ». Or, « la grande majorité des praticiens rencontrés a confirmé qu’il était presque impossible de se conformer à des règles de déontologie peu claires et mal acceptées par des patients qui se sentent contraints par les règles des institutions sportives, scolaires ou professionnelles, même peu rationnelles ». Conclusion de la Cour : « des évolutions plus profondes sont donc indispensables ».
Certes, des mesures ont déjà été prises pour contenir la gabegie administrative. Mais, notent les magistrats, sévères, « il ne suffit pas d’interdire par circulaire aux responsables d’établissements scolaires d’exiger des élèves un certificat médical après une absence, si les services du ministère admettent eux-mêmes qu’elle est mal appliquée ».
Pour mettre fin à ces mauvaises pratiques, mieux vaut en passer par des référents désignés dans chaque délégation départementale des ARS, qui pourraient recevoir les signalements des professionnels sur les manquements constatés dans les clubs sportifs, les crèches privées, etc. « À charge pour [ces référents] de saisir ces services ou leurs tutelles pour faire cesser les pratiques de certificats inutiles », réclame la Cour.
2,6 consultations par semaine et par médecin pour des certificats d’absence de courte durée
De nombreuses demandes de consultations sont également motivées par la production de certificats pour justifier l’absence d’un enfant malade (en crèche, à la cantine ou auprès d’un enseignant), pour la pratique d’un sport ou pour justifier des absences de courte durée auprès des employeurs, déplore la Cour.
Les magistrats citent une étude de la CPTS de l’Erdre (Loire-Atlantique), menée auprès de 19 généralistes pour un volume d’environ 3 000 consultations, parmi lesquelles 361 (soit 12 %) ne correspondait pas à un motif médical pertinent. L’étude estime à 2,6 consultations par semaine et par médecin la part d’activité consacrée à la délivrance des certificats d’absence de courte durée auprès des employeurs.
Face à ce constat, la Cour appelle les pouvoirs publics à regarder comment d’autres pays endiguent ce phénomène. En Grande-Bretagne ou au Québec, les certificats d’arrêts de travail de très courte durée sont justifiés par une simple déclaration du patient. « Le principe d’autodéclaration existe aussi en Norvège, précise Pierre Moscovici. En Grande Bretagne, ce système est installé depuis 1985. Il est utilisé en routine pour les arrêts de travail de moins de sept jours incluant les week-ends sans qu’aucun abus particulier n’ait été constaté. Donc ça existe ailleurs et ça marche pour libérer ce temps médical dont on a tant besoin. »
Le déploiement d’une telle mesure en France suppose malgré tout que d’autres mécanismes de régulation soient adoptés dans les entreprises ou leurs branches, voire au niveau national, « avec par exemple l’établissement d’une durée de carence d’ordre public qui généraliserait une période minimale d’un ou deux jours réputés non indemnisables », avance la Cour.
Valletoux prêt à en discuter
Les préconisations des magistrats ont entraîné une salve de réactions du monde médical et politique. Invité de la matinale de TF1 ce mardi 14 mai, le ministre délégué à la Santé Frédéric Valletoux s’est dit favorable à ce que les salariés puissent déclarer eux-mêmes un arrêt de travail de très courte durée. « Je veux ouvrir le sujet avec les employeurs […], c’est une mesure qu’on va regarder de près car elle permet de libérer du temps médical », a-t-il déclaré.
Le syndicat des remplaçants et jeunes médecins généralistes (Reagjir), satisfait, a précisé de son côté que « la lutte contre les consultations inutiles pour motif purement administratif est sans aucun doute un levier majeur pour favoriser l’accès aux soins en redonnant du temps médical dédié aux soins ». Les propositions formulées par la Cour, se félicite-t-il, « répondent tout à fait » à cet objectif.
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