LE QUOTIDIEN : Les déserts médicaux sont-ils une spécificité française ?
JULIEN MOUSQUÈS : Les constats internationaux font voir que, dans les pays à systèmes de santé équivalents, la raréfaction des soignants se retrouve mais ce ne sont pas forcément les mêmes catégories de professionnels qui sont concernés. En France, on note une croissance importante du nombre de certains paramédicaux, en particulier les masseurs-kinésithérapeutes et les infirmières, et un processus de raréfaction concentré sur les professions médicales en particulier les généralistes.
Notre pays connaît des problématiques d'espaces singulières en raison de sa géographie. Mais celles-ci sont parfois encore plus intenses dans d'autres pays avec des échelles différentes : on peut penser au grands espaces ruraux américains et australiens ou aux espaces désertiques des pays nordiques. Cela rend les comparaisons parfois compliquées.
Que faut-il cependant en retenir ?
Des travaux qui datent d'une dizaine d'années ont montré que la France connaissait des inégalités de répartition des médecins entre les zones rurales et les zones urbaines plus importantes que dans d'autres pays européens comparables comme la Grande-Bretagne. Ce serait intéressant de reprendre ces comparaisons aujourd'hui et d'observer les situations à des échelles plus fines.
En 2017, vous aviez défini plusieurs typologies de déserts médicaux en France. Comment les situations ont-elles évolué depuis ?
Avec mon collègue géographe de l'Irdes, Guillaume Chevillard, nous avions établi une approche typologique de nature transversale avec comme logique de prendre en compte un ensemble de variables décrivant à la fois l'offre et l'état de santé de la population ainsi que des éléments constitutifs des dynamiques territoriales en termes d'attractivité et de services. Nous renouvelons actuellement l'exercice que nous espérons finir pour l'automne. L'idée est de mieux appréhender les espaces urbains car l'échelle des territoires vie-santé (établis par le ministre de la Santé, NDLR) est une maille un peu trop grosse. En outre, nous essayons aussi de comprendre les dynamiques de transformation à l'œuvre depuis la raréfaction très importante du nombre de médecins à partir des années 2010.
Vous aviez mis en évidence deux grands types d'espaces en difficulté pour accéder aux soins de proximité. Lesquels sont-ils ?
Ils sont très différents. Il y a d'un côté, les espaces urbains et périurbains qui ont connu des dynamiques importantes de populations — plutôt jeunes — mais où les services de santé n'ont pas suivi. Et de l'autre, il y a les territoires dont on parle beaucoup et qu'on qualifie de marges rurales qui se caractérisent par des populations plus âgées aux états de santé moins bons et avec une accessibilité aux soins de premier recours en très forte dégradation.
Pour remédier à ces difficultés, la tentation de mettre en place un conventionnement sélectif — avec une installation conditionnée à un départ dans les zones supposées bien dotées — revient régulièrement dans le débat. Est-ce une solution efficace ?
On a surtout du mal à comprendre aujourd'hui que cela puisse être une solution prioritaire mobilisable à court terme, dès lors que nous sommes dans une phase de creux très important des effectifs médicaux et que cette pénurie concerne une partie de plus en plus large du territoire.
Pour autant, nous avions effectivement conduit des travaux sur les infirmiers libéraux pour comprendre l'impact de ce type de mécanismes déjà mis en place. Or, nous avons constaté que, de fait, les installations ont été limitées dans les zones considérées comme bien dotées mais que le déport ne s'est pas forcément produit sur les zones les plus en pénurie — alors que des incitations financières à s'y installer étaient proposées parallèlement — mais en partie sur des zones intermédiaires. On peut donc considérer que c'est une demi-réussite.
C'est aussi une mesure très critiquée par les jeunes médecins. Comprenez-vous leurs arguments ?
Ils disent parfois que ce type de régulation enverrait un signal très négatif vers les étudiants en début de formation, au risque de les détourner d'emblée de l'exercice libéral. À vrai dire, nous ne disposons pas d'éléments pour le documenter. En tout cas, c'est un tel chiffon rouge que ce n'est probablement pas une mesure prioritaire d'autant qu'il y en a beaucoup d'autres plus efficaces et que le débat est global.
Longtemps, le levier le plus utilisé a été l'incitation financière à l'installation ou au maintien de l'activité dans les zones sous-dotées. Les résultats ont-ils été à la hauteur ?
C'est surtout à l'international où les démonstrations ont été faites que ce n'est pas très efficace. En France, c'est un levier qui a été beaucoup utilisé mais peu évalué par les pouvoirs publics. Pour autant, l'observation montre clairement que cela n'a pas permis de modifier de façon massive les déséquilibres. Cela s'explique et a été démontré dans les travaux de synthèse des expériences à l'étranger.
À partir du moment où les médecins peuvent atteindre leurs revenus cibles n'importe où tout le territoire — en particulier grâce au paiement à l'acte — , l'incitation financière n'est pas une compensation suffisante au coût d'opportunité d'aller dans un territoire où on n'a pas envie d'aller.
Les incitations financières qui visent les étudiants sont-elles plus efficaces ?
Les bourses d'études contre l'engagement de s'installer à un certain endroit ont été mises en place dans plusieurs pays, en particulier ceux où les études de médecine sont très coûteuses. Mais on constate que, souvent, l'exercice dans la zone en question ne dépasse pas la durée prévue par l'engagement. Et parfois, les jeunes diplômés n'hésitent pas à racheter leurs bourses pour se libérer de la contrainte. C'est donc moyennement efficace.
Le dernier levier d'ordre économique consiste à soutenir les investissements et les équipements en particulier dans les maisons de santé pluridisciplinaires. N'est-ce pas plus utile ?
Cela nécessite d'être encore mieux documenté mais effectivement ce type d'incitation dans certains contextes locaux semble avoir au moins un effet amplificateur. C'est normal car nous savons que ce qui marche le mieux, c'est tout ce qui permet d'améliorer les conditions de travail au sens très large. À ce titre, les aides à l'hébergement ou aux transports pour les étudiants en stage dans les zones sous-dotées semblent des stratégies prometteuses. Et globalement, le soutien aux MSP ne peut qu'être intéressant puisque, pour le coup, nos travaux ont montré que les territoires sur lesquels sont implantées des MSP sont plus attractifs à l'installation pour les jeunes que les autres.
Et les médecins y soignent aussi davantage de patients. C'est donc un cercle vertueux ?
Oui, nos travaux ont montré que les généralistes en MSP ont une patientèle et une file active plus importantes que les ceux qui travaillent sous une autre forme d'exercice, sans pour autant travailler plus. Cela s'explique aisément par le caractère pluri-professionnel des structures et le partage d'activité avec d'autres, en particulier les infirmières. En France, il existe encore des freins mais d'autres pays sont déjà allés beaucoup plus loin dans l'accès direct et les modifications des frontières professionnelles. Le champ des possibles est large. L'avantage est que les gains sont rapides en termes d'amélioration de l'accessibilité aux soins.
On note un attrait croissant pour le salariat. Le mode de rémunération peut-il être un levier ?
Pour l'instant, l'exercice salarié en ambulatoire reste d'ampleur modeste mais malgré tout on constate une dynamique. De là à dire qu'il suffirait de multiplier par 20, 50 ou 100 les centres de santé avec des médecins salariés, et que les offres trouveraient toujours autant de praticiens preneurs, c'est trop tôt pour l'affirmer ! Il faudrait pouvoir interroger finement les attentes et les préférences pour le salariat des jeunes en dernières années d'études pour savoir s'ils sont réellement nombreux à se projeter sur ce type d'exercice.
Une part importante des déterminants au choix du lieu d'exercice reste de nature personnelle. Les pouvoirs publics n'ont-ils pas que très peu de prise sur ces choix ?
Tous les éléments qui tiennent au cadre de vie, aux transports, aux équipements sont importants mais ils ne relèvent pas des politiques sanitaires. Pourtant on constate que les lieux de formation, notamment les stages, sont aussi essentiels. Il faut donc continuer à favoriser la qualité des stages, agréer davantage de maîtres de stages et orienter les étudiants vers des stages dans les territoires les plus défavorisés pour maximiser les chances qu'ils s'y installent ensuite.
En revanche, il y a une stratégie utilisée dans certains pays mais qui est peu débattue en France, c'est celle qui consiste à favoriser à l'entrée des études des profils socio-économiques issus de territoires les plus fragilisés, et qui auront ensuite davantage d'appétence pour s'y installer. Cela reste une stratégie de très long terme car l'un des principaux déterminants du lieu d'exercice reste la proximité de son entourage.
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