Déserts médicaux, tensions à l’hôpital, réformes de l’internat, négociations avec les médecins libéraux… Catherine Vautrin va devoir mener à bien ces nombreux dossiers sensibles laissés ouverts par ses prédécesseurs. Septième ministre de la Santé depuis 2017, la Rémoise de 63 ans, au portefeuille très élargi par rapport à ses prédécesseurs, est placée au quatrième rang protocolaire, derrière Matignon, Bercy et Beauvau. Faut-il voir là un bon signal pour le monde de la santé ? Les réactions oscillent entre inquiétude et attente.
Du côté des hospitaliers, l’intersyndicale Action praticiens hospitalier (APH) ne cache pas sa déception. « On aurait préféré que la Santé soit avec la Prévention et l’Écologie, dans une logique *One health* », regrette le Dr Jean-François Cibien, sceptique sur l’intitulé du maroquin de Catherine Vautrin (Travail, Santé et Solidarités). À date, note-t-il, « nous n’avons pas de ministre de la Santé désigné et c’est une marche en arrière ! » Le médecin urgentiste demande « une feuille de route et une nouvelle loi santé » pour « apporter le juste soin à l’ensemble de nos citoyens ». L’hospitalier réclame aussi la poursuite des chantiers engagés par François Braun et Aurélien Rousseau ( temps du travail des praticiens hospitaliers, poursuite du chantier de la permanence des soins…) « qui avaient redonné un peu d’espoir aux médecins hospitaliers ».
Cette demande de soutien aux établissements publics émane aussi du président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Arnaud Robinet. Un temps pressenti au poste, l’actuel maire de Reims « souhaite travailler au plus vite avec la ministre nommée et son équipe afin de répondre à plusieurs enjeux majeurs pour la santé et l’autonomie », dont les arbitrages budgétaires pour l’hôpital public, « attendus de façon urgente » et « la réaffirmation de la prévention comme axe central des politiques de santé ». Même attente du côté de la Fédération de l’Hospitalisation privée (FHP) en matière d’arbitrages budgétaires. Selon son président, Lamine Gharbi, « un tiers des établissements privés sont en déficit en raison de l’inflation et des projections 2024 alarmantes ».
Poids politique nécessaire
Du côté des syndicats des médecins libéraux, la crainte de la dilution de la santé dans un périmètre large préoccupe la plupart des leaders syndicaux contactés par le « Quotidien ». À la tête de la CSMF, le Dr Franck Devulder, qui a personnellement félicité la ministre, espère que « cette femme expérimentée qui connaît bien le monde de la santé en sa qualité d’élue de terrain » aura le « poids politique nécessaire » pour créer « un choc d’attractivité pour la médecine libérale ».
La CSMF reste cependant extrêmement « vigilante » en attendant de connaître le nom du ministre délégué ou du secrétaire d’État à la santé. « On espère qu’elle ne va pas recycler au poste de ministre délégué une personne qui a présenté une proposition de loi hostile à la médecine libérale, ce serait très mauvais pour nous », prévient déjà la Dr Sophie Bauer, présidente du SML, ayant probablement en tête les députés Stéphanie Rist (Renaissance) et Frédéric Valletoux (Horizons). Le patron d’Avenir-Spé, le Dr Patrick Gasser, lui aussi ne cache pas son inquiétude. « Quand on est secrétaire d’État, on n’a pas de budget, quand on est ministre délégué, on a un peu plus de marge de manœuvre, mais ça reste maigre », dit-il.
Déclassement
La colère est « froide » pour l’UFML-S. Son président, le Dr Jérôme Marty, dénonce « l’absence d’un ministère à part entière pour la Santé ». « On a été déclassés », déplore-t-il. « Malgré sa longue carrière, ajoute le généraliste de Fronton, la nouvelle ministre n’a jamais été confrontée à des problématiques en lien avec le secteur. Nous n’avons pas le temps des expérimentations ! », assène-t-il.
Contacté, Sébastien Guérard, président de l’Union nationale des professions libérales (UNPS) dit vouloir « juger sur pièce », même si, pense-t-il, un ministère élargi permettrait de « résister à la pression financière » imposée par Bercy au secteur de la santé.
Les jeunes pas optimistes
Chez les futurs et jeunes médecins, l’attente est grande. « Nous avions commencé à construire avec le précédent gouvernement qui avait pris des engagements vis-à-vis des internes [concernant la lutte contre les violences ou encore la parentalité, NDLR]. Nous sommes maintenant bientôt à mi-mandat, il faut donc poursuivre et s’assurer que ces engagements soient respectés », insiste Guillaume Bailly, président de l’Isni. La fusion du ministère de la Santé et du Travail est, selon l’interne, « à double tranchant ». « Est-ce que cela présage des réformes sociales fortes dans le champ de la santé ? » s’interroge-t-il.
Les jeunes internes de médecine générale de l'Isnar-IMG ne sont pas plus optimistes. L’inquiétude se concentre notamment sur le retard pris dans la parution des textes d’application de la réforme du DES de médecine générale. « Les remaniements ministériels ne font que retarder ces parutions », déclare Florie Sullerot. La présidente de l’organisation syndicale étudiante espère surtout que les priorités (droits des internes, reconnaissance de leur travail, revalorisation salariale, report de la 4e année) restent les mêmes, malgré ce changement de ministre.
Les jeunes généralistes remplaçants de Reagjir, qui salue la nomination de Catherine Vautrin, appellent pour leur part à « un new deal ». « Seul un plan global et ambitieux pour la médecine de ville et plus largement le système de santé permettra de changer la donne », rappelle l’organisation. Qui attend, comme tous les autres acteurs du secteur, d'être reçue le plus rapidement possible au ministère de la Santé.
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