La menace planait depuis des années mais, pour la première fois, elle a pris corps. Face aux difficultés récurrentes en matière d’accès aux soins, deux propositions de loi en cours d’examen portent deux stratégies, certes différentes mais avec le même objectif : combattre la désertification médicale, avec des conséquences potentiellement lourdes pour les praticiens libéraux.
D’un côté, le remède de cheval. La proposition de loi transpartisane, sous la houlette du député socialiste mayennais Guillaume Garot, a été adoptée par l’Assemblée nationale mais la suite de son examen parlementaire reste très incertaine. Régulant l’installation en zones surdotées, elle a fait descendre des milliers de médecins dans la rue fin avril dans le cadre d’un front historique animé par les étudiants et soutenu par leurs aînés. L’autre texte, soutenu par le sénateur Philippe Mouiller pour le groupe LR, et examiné par le Sénat en procédure accélérée, proposait cette semaine une ordonnance plus équilibrée, mêlant mesures incitatives et plus contraignantes. En toile de fond – et en arbitre –, le « pacte Bayrou contre les déserts médicaux », présenté en avril par Matignon, offre une troisième voie, avec des mesures urgentes de solidarité territoriale obligatoire. Jusqu’où ira le balancier ?
Inflation législative
Difficile de savoir exactement ce qui sortira de cette inflation législative, même si le principe d’un durcissement des règles du jeu se dessine. De ce point de vue, la proposition de loi Garot, initialement soutenue par 250 députés, de LFI à LR (mais adoptée en réalité dans un hémicycle clairsemé), marque une rupture historique, même si elle n’ira sans doute pas au bout de son parcours. Sur le papier, le texte assume de limiter l'installation des médecins en zones surdotées au nom de l’intérêt général. Avant de pouvoir y poser leur plaque, les praticiens libéraux comme salariés devraient solliciter « l'autorisation préalable » de l’ARS. Celle-ci serait de droit dans les zones fragiles mais, dans les territoires bien dotés, le médecin ne pourrait s'installer que s’il remplace un confrère sur le départ.
La PPL Garot est d’autant plus inflammable qu’elle s’attaque aussi au volontariat des gardes, en rétablissant l'obligation de participation à la permanence des soins (PDSA), supprimée en 2002. « Une nécessité », a résumé comme une évidence le député Garot. « Sur le terrain, nous constatons l’épuisement de ceux qui assurent cette permanence des soins, parce qu’ils sont trop peu nombreux : seule la moitié des généralistes y participent », avance le député mayennais, quand bien même plus de 95 % des territoires sont couverts. Un argument balayé en vain par le ministre de la Santé, Yannick Neuder, lui-même cardiologue et soucieux de ne pas braquer ses confrères. « L’obligation de participer à la permanence des soins est très désincitative, à la fois pour les jeunes médecins qui voudraient s’installer et pour les médecins plus âgés qui, passé la soixantaine, partiront plus tôt à la retraite », a-t-il analysé. Mais là encore, les députés se sont montrés plus directifs que par le passé, comme s’il fallait punir la profession de n’être pas suffisamment organisée.
Cheval de Troie
C’est dans ce contexte conflictuel que la proposition de loi de la droite sénatoriale a surgi, cette semaine, comme une aubaine pour l’exécutif. Moins clivant – mais aligné sur l’impératif de résultat –, ce texte est nettement plus compatible avec la philosophie de « solidarité territoriale » exigée par le gouvernement. La liberté d’installation y est préservée dans les zones bien pourvues, sous réserve d’un engagement à exercer « à temps partiel » en zone sous-dense pour les nouveaux généralistes. Pour les spécialistes, la proposition de loi reprend le principe d’une arrivée conditionnée à un départ, ou d’un temps partiel en zone fragile.
Le gouvernement s’est donc invité mardi dernier dans ce débat en faisant adopter un article additionnel instaurant son dispositif de « solidarité territoriale obligatoire », au cœur du pacte Bayrou contre les déserts médicaux dévoilé en avril. Il s’agit pour les praticiens – libéraux ou salariés – ainsi que pour les remplaçants des territoires bien pourvus de se relayer « jusqu’à deux jours par mois » dans les zones rouges (à définir d’ici à fin mai), sous forme de consultations avancées. « On demande peu à un grand nombre de médecins, plutôt que de demander beaucoup à peu de médecins », a résumé Yannick Neuder, lors de la discussion au Sénat.
Nous avons désormais une obligation de résultat
Yannick Neuder, ministre de la Santé
L’astuce (l’ambiguïté ?) consiste à requérir cette participation solidaire sur la base du volontariat dans un premier temps, mais « à défaut sur désignation du directeur général de l’ARS ». Un exercice d’équilibriste sur un sujet sensible. En cas de refus d’engagement, les médecins récalcitrants seront passibles d’une pénalité financière « dans la limite de 1 000 euros par jour », précise l’amendement, qui renvoie ici à la publication d’un décret en Conseil d’État. De l’art de souffler le chaud et le froid.
Pour les médecins volontaires qui assumeront cette mission solidaire, une « indemnisation » serait prévue, réclamant un arrêté. Précision : cette compensation s’ajoutera à la rémunération des actes et consultations réalisés pendant ces journées de solidarité territoriale en zone fragile. « Grâce à ce texte, nous construisons les termes d’une nouvelle solidarité entre les territoires, au service de l'accès aux soins, mais aussi d'une responsabilité collective. Nous avons désormais une obligation de résultat », a clamé cette semaine le locataire de Ségur.
Entre coercition assumée et solidarité exigée, les médecins libéraux se trouvent aujourd’hui, de fait, au croisement de logiques politiques d’encadrement. Une situation difficile à accepter pour une profession en situation de pénurie pour quelques années encore.
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