Abandon du suivi médical par 60 % des femmes, parcours de soins chaotique à cause de la fragmentation des soins de ville, mais aussi épuisement des professionnels et lourdeurs administratives… c’est en partant de ces constats que Clémence Lejeune, 38 ans, diplômée d’HEC, a décidé de créer le centre Sorella, projet qui a mis deux ans pour voir le jour. Avec deux associés, l’entrepreneuse a levé des fonds (deux millions d'euros) pour financer l’ouverture, depuis janvier 2023, de ce premier « espace de santé » qui ambitionne de disrupter l’offre de soins en ville en permettant à chaque femme « d’avoir accès à un parcours de soins global ». De fait, le lieu abrite une vingtaine de professionnels médicaux et paramédicaux engagés autour de la santé des femmes (généraliste, gynécologue médical, pédiatre, sage-femme, kinés, ostéopathe, psychologue, diététicienne) pour viser une prise en charge rapide et pluridisciplinaire.
Infirmières de coordination
Les locaux ont été imaginés pour offrir des conditions d’exercice optimales. Sur une surface de 300 m2 sont agencées une douzaine de pièces vitrées aux couleurs pastel. Les patientes sont accueillies par deux secrétaires dans une vaste pièce équipée de canapés cosy. « À droite, guide Clémence Lejeune, les salles sont dédiées au paramédical avec une grande pièce pour le kiné et son matériel. À gauche, les salles de soins, notamment pour les sages-femmes ou les consultations des médecins ». Les bureaux rectangulaires et les grands écrans statiques ont été bannis. « Le médecin n’est pas installé derrière son ordinateur, il est à côté de son patient, autour d’une table ronde », avec un portable, souligne la cofondatrice de la start-up.
À l’instar des aménagements à l’hôpital ou dans les maisons de santé pluriprofessionnelles, une grande pièce est toutefois réservée à l’équipe pour « se retrouver, discuter, manger, se détendre ». Mais surtout pour échanger périodiquement autour des dossiers des patientes, des parcours de soins et des bonnes pratiques, confie la Dr Alix Roquette, gynécologue médicale. La directrice médicale de Sorella défend cette « une vision transversale » de la prise en charge de la santé des femmes « selon les moments de leur vie et non selon les différentes spécialités ». L'équipe développe aussi une plateforme digitale à destination des patientes pour préparer et gérer leur consultation.
Avant j’avais le sentiment que cela se grippait à chaque étape
Bénédicte Zuger, sage-femme
L’atout de ce modèle hybride est la présence d’un infirmier de coordination qui oriente les femmes dans leur parcours, en faisant le lien entre soignants, adressage qui permet de gagner du temps. Un avantage salué par le Dr Joseph Frangieh, médecin généraliste, secteur 1. « La patiente qui a des douleurs lombaires et a besoin de soins de kinésithérapie peut avoir rapidement un rendez-vous sur place, son parcours est facilité », illustre-t-il. Bénédicte Zuber, sage-femme qui a exercé dans un cabinet de groupe, salue cette organisation optimisée. « Avant, j’avais le sentiment que cela se grippait à chaque étape, j’ai gagné en fluidité. Il y a une continuité et une convivialité dans les soins et les patientes sont rassurées ».
Harmoniser les pratiques au sein du groupe
L’exercice pluridisciplinaire autour de parcours spécifiques (maternité, ménopause, douleurs vulvaires, etc.) est également apprécié. Un groupe dédié à la prise en charge de l’endométriose réfléchit par exemple sur la façon d’harmoniser les pratiques, en s’appuyant sur les recommandations. « Pour la première consultation, la sage-femme va réaliser le dépistage, puis le gynécologue prendra le relais. On peut aussi adresser la patiente à l’ostéopathe », indique Bénédicte Zuber.
Depuis sa création, l’équipe a aussi développé un réseau extérieur avec les hôpitaux franciliens. Partenariat avec le planning familial de l'hôpital Antoine-Béclère pour accompagner les femmes dans leur IVG ou création de « passerelles » avec l’hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP) pour les patientes atteintes de cancer : « Notre volonté est de renforcer le lien ville/hôpital avec un réseau d’experts en oncologie afin de pouvoir adresser rapidement les patientes. L’hôpital est lui aussi demandeur pour réadresser les patientes qui sortent », affirme la Dr Roquette.
Les soignants du centre médical Sorella ont le statut libéral (et sont payés à l’acte, les tarifs sont d’ailleurs affichés) « mais sans les contraintes qui y sont attachées », insiste Clémence Lejeune. « Nous proposons de les décharger de l’administratif, de la comptabilité, la facturation, le secrétariat, les prises de rendez-vous… Cela leur enlève de trois à quatre heures dédiées à ces tâches par semaine », avance-t-elle. En contrepartie, Sorella prélève une commission de 40 % sur les honoraires. Ce taux peut paraître très élevé mais n’effraye pas les praticiens pour la majorité conventionnés en secteur 2 (sauf le généraliste). « Sorella pratique le tiers payant et les médecins s’engagent via notre charte à proposer des tarifs accessibles », se défend Clémence Lejeune.
Ouverte du lundi au dimanche en journée, la structure qui a déjà accueilli 10 000 patientes en un an (et assuré 25 000 consultations) fonctionne sans subvention financière de l’ARS ou des collectivités locales. Les fondateurs ambitionnent de développer leur modèle, en commençant par deux centres en petite couronne parisienne.
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