Le décideur public croit beaucoup à l’idée que les modalités de rémunération des acteurs d’un système influencent leurs comportements et, notamment, la façon dont ils arrivent à coordonner leurs efforts pour rendre un service élaboré, adapté, et complet, à la société. Il y croit tellement qu’il a parfois la faiblesse d’étendre cette idée aux professionnels de santé ! C’est avec cette clé de lecture qu’il faut comprendre, je crois, la réflexion actuelle sur l’extension des paiements au forfait.
Bien entendu, cela veut dire qu’on écarte ici d’emblée l’interprétation trop facile d’un forfait fixé pour une raison uniquement « comptable », visant à encadrer la dépense par épisode de soins. Il serait bien maladroit d’ambitionner de changer les structures d’un système (ses règles fondamentales) et de glisser en douce, au détour du changement, un bien bête encadrement des dépenses…
Primes collectives et travail en équipe
Prenons d’abord le « principe général » : les modalités de rémunération décident des comportements. C’est un fait très largement documenté. La finesse des schémas de rémunération permet assez généralement d’orienter les acteurs. Pour une bonne gestion des ressources humaines au sein d’une entreprise, les systèmes de primes collectives facilitent le travail en équipe en coordonnant les efforts sur un objectif commun, tandis que les primes individuelles ont tendance à l’entraver. Pour ce qui est de la coordination inter-entreprises, même chose, le service fourni par les entités qui collaborent, par exemple la compagnie aérienne, la plateforme aéroportuaire, et mettons la société qui fournit le repas en vol, dépend de la règle de partage du prix du billet. Cependant, pour bien fixer la valeur de la taxe d’aéroport, ou l’existence ou non d’un repas en vol, on doit d’abord être informé de la somme totale que le voyageur est prêt à payer pour se déplacer…
Second point, faut-il céder à la tentation d’étendre ces éléments de raisonnement économique à l’univers des décisions médicales ? Il existe là encore une littérature empirique assez nourrie qui tend à démontrer la validité d’une telle hypothèse. C’est le cas par exemple des études de variabilité géographique des décisions de traitements électifs qui, en paiement à l’acte, se corrèle bien avec la densité locale de médecins spécialistes impliqués dans le traitement.
En santé, le service est défini par le besoin médical
Alors quel est le rationnel d’un paiement au forfait en médecine générale ? La plateforme aéroportuaire, c’est évidemment, dans ce contexte, la maison de santé pluri-professionnelle (MSP) ; les services de voyage sont, eux, assurés par les professionnels de santé : médecins et paramédicaux. Le « prix du billet », c’est ce que la société est prête à payer : une somme fixe prédéterminée à l’avance, et qui ne dépend pas de la disponibilité ou de l’organisation des offreurs locaux. Pour un traitement équitable des usagers du système, en effet, le panier de soins d’un parcours ne doit pas être issu d’un équilibre, obtenu au gré des circonstances, entre l’offre et la demande.
En santé – et c’est là que la comparaison aéroportuaire s’arrête !-, le service est défini par le besoin médical. Pas de business-class et pas de soins low cost, selon le portefeuille plus ou moins garni des usagers ou l’organisation locale des offreurs de soins (les déserts médicaux). C’est en tout cas ce qui est souhaité, et ce que le paiement à l’acte ne permet pas, surtout en situation d’inégalités socioéconomiques et territoriales fortes.
La grande question qui reste en plan : qui tient le rôle précis de la compagnie aérienne ? Car c’est elle qui encaisse le forfait et qui doit ensuite redistribuer et coordonner les efforts des acteurs. C’est elle également qui sera le « créditeur/débiteur résiduel » (celui qui engrange les pertes ou les bénéfices). Médicalement, le généraliste est en position de former l’équipe, d’assurer la coordination et le travail collectif, et de prendre donc l’entière responsabilité du parcours. Mais il y a aujourd’hui une confusion entre la structure MSP et les médecins.
Pour filer la métaphore, les compagnies aériennes détiennent très souvent les aéroports, qui par ailleurs sont largement subventionnés. Qui engrange le bénéfice ? Qui fait faillite, la MSP ou le généraliste ? Ne donne-t-on pas trop de pouvoir à un seul acteur du système au risque d’empêcher une bonne coordination ? Ne faut-il pas protocoliser un peu plus les prises en charge, pour s’assurer qu’en contrepartie du forfait, il y ait bien aussi un panier de soins homogène ? Ces questions pour le moment non résolues seront sans doute une limite au développement des forfaits. Ils ne résoudront pas à eux seuls tous les défauts du système.
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