Il faut conserver soigneusement tout ce qui s’écrit à propos de la désaffection de l’Hôtel-Dieu. La collection aura de la valeur. Dans quelques années, la lecture de certains documents provoquera un étonnement voisin de la stupéfaction. L’historien en prendra texte pour reconstituer la mentalité d’une époque.
Parmi ces documents, le dernier bulletin du « Lyon médical » tiendra une place à part. On croyait le sujet épuisé ; le Dr E. Grand-Clément l’a rajeuni. Les aperçus sont nouveaux et inattendus. Il est vraiment dommage que l’article ait été mutilé, qu’il ne soit qu’un recueil de « morceaux choisis » du texte original ! Pour ma part, je regrette ces coupures.
Je ne perdrai pas mon temps à rectifier les erreurs de l’article en question, elles sont trop. Je ne relèverai pas non plus les éloges adressés à l’Hôtel-Dieu actuel ; ils se résument dans cette phrase monumentale qui défie toute critique : « Mais il y est à l’ hauteur de ces progrès notre Hôtel-Dieu ! »
Deux réflexions suffiront.
Il n’y avait pas de chirurgien dans la commission. Je croyais avoir dit que celle-ci n’a rien « omis » ni « négligé » à ce point de vue. Pendant quinze jours, elle a, au contraire, réclamé et espéré la présence d’un chirurgien ; sa responsabilité est hors cause.
Comment le luxe insolent d'un hôpital peut donner des idées de révolte et d'anarchie aux malades...
La seconde réflexion est plus importante. C’est uniquement pour la formuler que je réponds à un article qui ne comportait peut-être pas de réponse.
On lit pages 434 et 435 la phrase suivante :
« Mais les malades y sont-ils plus heureux (dans le nouvel Hôtel-Dieu) ? Pas davantage. Ils seront même plus malheureux lorsqu’ils en sortiront et qu’ils quitteront ces splendeurs pour rentrer dans leurs pauvres demeures, que dis-je, pour beaucoup, dans leurs taudis. En présence de ce contraste et de ce luxe insolent, un certain nombre vont certainement concevoir des idées de révolte et devenir anarchistes, peut-être même apaches ! »
Cette phrase est abominable. Mais elle traduit cyniquement, naïvement peut-être, un état d’esprit que je connais bien pour l’avoir souvent rencontré sur mon chemin d’hygiéniste. Toutes les fois qu’on réclame une amélioration hygiénique pour le peuple, à l’école, à la caserne, à l’hôpital ; toutes les fois qu’on cherche à élever son niveau, à le faire profiter des progrès matériels et moraux de notre époque, on vous répond : « Vous avez tort, vous sortez ces gens-là de leur milieu, de leurs habitudes, vous les déclassez ». Cela avait déjà été dit à ceux qui ont voté l’instruction obligatoire. En un mot : laissez le peuple dans sa crasse, dans son ignorance ; faites-lui des hôpitaux, des écoles, des casernes à l’image de ses taudis ; cela vaut mieux. C’est évidemment un moyen de gouvernement. Ce n’est pas le nôtre.
Personne encore n’avait été jusqu’au bout de cette théorie. Personne encore n’avait accusé l’hygiène sociale de créer des « apaches ». Cela était malheureusement réservé à un médecin.
Je vous répète, Monsieur : votre phrase est abominable. Et vous n’avez certainement pas le droit d’écrire quelques lignes plus loin que vous êtes « le porte-parole de l’immense majorité de ceux qui peuvent raisonner en connaissance de cause sur ces vastes questions hospitalières, en particulier du corps médical lyonnais dont je reflète ici l’opinion générale ».
Vous êtes le seul parmi nous avec cette mentalité ; vous ne trouveriez pas un médecin, parmi les adversaires les plus déclarés du nouvel hôpital, pour contresigner votre article. Vous ne pouvez invoquer qu’une excuse, celle de n’avoir pas mesuré l’énormité de votre pensée et de n’avoir pas compris les termes employés.
Un renseignement pour finir. Dans les pays que nous avons visités, où riches et pauvres fraternisent dans les hôpitaux modernes, il n’y a pas d’« apaches ».
(Dr Jules Courmont, « Lyon Médical », 1910)
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