La permanence des soins (PDS) séduit moins qu’auparavant. Dans les chiffres, le nombre de médecins engagés dans la PDSA diminue ces dernières années et fragilise l’accès aux soins des patients en dehors des horaires d'ouverture des cabinets. Le dernier rapport de l’Ordre des médecins en atteste. Le pourcentage de volontariat est en baisse. Sur l’ensemble des départements, il est passé de 67 % en 2014 à 63 % en 2016 et même de 60 % en 2017 (dans 60 départements). Le prochain rapport ordinal devrait confirmer cette tendance, aussi bien pour la régulation que pour l’effection en nuit profonde (de 20 heures à minuit). Face à cet essoufflement, Agnès Buzyn a appelé à « la responsabilité collective » des médecins. Il y a quelques semaines, la Cour des comptes a proposé de conditionner une partie des rémunérations des praticiens au développement de la PDS, à l’extension des horaires d’ouverture et à la réponse de soins non programmés. La ministre de la Santé a confié sur ce sujet une mission au député LREM de Charente, le Dr Thomas Mesnier (lire son interview).
Un problème lié à la désertification
L’érosion de la permanence des soins est-elle uniquement liée au désengagement des médecins généralistes ? La réponse n’est pas si simple. Pour l’un d’eux, le Dr Stéphane Pinard (Belle-Île-en-Mer), conseiller départemental de l’Ordre du Morbihan, « la PDS n’est pas un problème isolé : il est à prendre dans sa globalité ». Le phénomène est intimement lié à la désertification médicale. « On a perdu beaucoup de généralistes ces dernières années, il y en a ainsi moins pour la permanence des soins », explique le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. Les difficultés d’accès aux soins pour les patients en semaine et en journée génèrent aussi de nouveaux comportements. « On remarque une tendance de certains patients à considérer les horaires de PDS comme quelque chose de pratique pour consulter un médecin », souligne le Dr Jean-Yves Bureau, président de l’Ordre de Basse-Normandie.
Résultat : des tours de garde plus fréquents, des secteurs définis par les Agences régionales de santé (ARS) qui s’élargissent à vue d’œil alors que les médecins généralistes ont des journées déjà bien remplies et sont parfois au bord de l’épuisement professionnel. Rien d'étonnant à ce que certains décident de ne pas s’ajouter de contraintes en dehors des heures d’ouverture du cabinet.
« Les difficultés de la PDS correspondent à celles rencontrées par la profession, comme la charge administrative importante qui incombe au médecin », analyse le Dr Marc Vogel, président de l’Ordre du Nord et généraliste à Toufflers. Le Dr Jérôme Marty, président de l’UFMLS, dénonce aussi cet effet en cascade. Selon lui, les médecins n’ont plus l’énergie d’assurer la continuité des soins après 20 heures. « La patientèle a augmenté avec le manque de confrères. Les généralistes font 30 à 40 actes par jour et on leur demande de prendre des gardes de 20 heures à minuit », déplore-t-il.
Renouvellement de génération
Comme pour l’activité de jour, la PDSA fait également face au manque de renouvellement des médecins. « Le tissu de la PDS s'effrite, un problème pour la population. Cela nous inquiète. Le souci n'est pas la fin du volontariat, mais la démographie et le vieillissement des médecins », analyse le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. L’âge moyen des généralistes participant à la permanence des soins était en 2016 de 50 ans pour les médecins effecteurs et de 55 ans pour les régulateurs, selon l'Ordre. Sans surprise, plus les généralistes avancent en âge, moins ils participent au tour de garde : ils étaient 17 % à le faire chez les plus de 60 ans et 31 % chez les moins de 40 ans en 2016.
Pour le Dr Catherine Guintoli, généraliste à Foix et présidente de l’Ordre de l'Ariège, « parfois les médecins font valoir leur âge, il est difficile pour eux d’assurer une garde après une journée de travail ». En contrepartie, les remplaçants sont nombreux à s’en acquitter, et les territoires s’appuient parfois sur eux pour remédier au manque. D’après l’étude Remplact menée en 2015, 64 % des remplaçants participent à la PDSA. « Il nous arrive régulièrement d’être sollicités en région par l’Ordre ou l’ARS pour promouvoir la PDS », constate Yannick Schmitt, président du syndicat de remplaçants et jeunes généralistes ReAGJIR. Pour le Dr Jérôme Marty, la balance entre les médecins partant à la retraite et qui n’assurent plus la permanence des soins et une nouvelle génération motivée ne sera pas à l’équilibre tout de suite. « La problématique ne se résoudra pas du jour au lendemain, prévient-il. Il faut rendre la profession attractive et que les jeunes s’installent. On est arrivés au bout d’un cycle. »
Le « sens du collectif » émoussé
Des jeunes très impliqués dans l’effection et la régulation, pourtant, il en existe déjà. Le Dr Céline Geslin, 36 ans, généraliste à Locminé dans le Morbihan est à la fois médecin régulateur, effecteur mobile et présidente de la maison de garde de son secteur. Elle fait partie des sept nouveaux praticiens installés de son territoire à participer à la continuité des soins. Grâce à la mobilisation d’un grand nombre de médecins, elle ne fait qu’un à deux week-ends de garde par an et un soir tous les deux mois. « Au début, j’y participais pour l’aspect financier. Aujourd’hui, je ne me vois pas l’arrêter, même si c’est une activité fatigante et difficile. Je trouve très intéressant de discuter avec les autres médecins du secteur et de côtoyer les hospitaliers », confie-t-elle.
Les disparités au sein même des territoires sont cependant notables. Par exemple, à quelques kilomètres au sud de Locminé, à Vannes, sur les 70 médecins installés, « seuls quatre ou cinq assurent des gardes », affirme le Dr Stéphane Pinard, généraliste à Belle-Île-en-Mer. Paradoxalement, la permanence des soins fonctionne globalement beaucoup mieux en zone rurale qu’en ville. Le collectif et la coordination entre les médecins locaux y sont pour beaucoup. Le Dr Jean-Louis Samzun, généraliste à Lorient où il est responsable d’une maison médicale de garde (MMG), confirme qu’en ville, deux des principales motivations à participer à la PDSA, « le sens du collectif et les besoins d’argent, se sont émoussées ces 25-30 dernières années ». Il explique aussi, entre autres, l’essoufflement des gardes en ville par la présence de SOS Médecins et une activité forte de jour. « La garde ne représente que 2 à 3 % de leur chiffre d’affaires. Pour des médecins de plus de 55 ans, qui n’ont plus leurs enfants à charge, ce n’est plus assez intéressant », constate-t-il.
Si le volontariat n'atteint pas les mêmes proportions selon les bassins de vie, la rémunération des médecins diffère également entre les régions. Les cahiers des charges de la PDSA, actuellement renégociés dans plusieurs régions, sont fixés par les ARS. De 20 heures à minuit, les tarifs d’astreinte des effecteurs tournent sensiblement autour de 50 euros. En nuit profonde (minuit – 8 heures), un effecteur fixe est rémunéré 150 euros en Auvergne, 123 euros en Champagne-Ardenne, et 100 euros en Basse-Normandie. Ces primes peuvent monter jusqu’à 450 euros dans le Nord-Pas-de-Calais ou en Lorraine.
Tarifs très disparates
Chez les médecins régulateurs aussi, il y a des disparités. Dans certains secteurs, l’astreinte est également défiscalisée. Le Dr Roland Rabeyrin, généraliste au Puy-en-Velay et chargé de mission PDSA chez MG France, constate que « la rémunération des régulateurs n’a pas évolué depuis longtemps ». « La régulation est notoirement sous-payée, à 70 euros de l’heure, ajoute le Dr Hubert Moser, président de l’Association départementale de la permanence des soins du Morbihan (ADPS 56). L’effection mobile est mieux rémunérée, avec 650 euros de 20 heures à 8 heures. Mais l’organisation collective de garde repose sur tous ces piliers et on doit faire vivre ces groupes de super-volontaires. »
Sa consœur le Dr Catherine Guintoli observe que « dans certains secteurs peu denses en population, les médecins font peu d’actes durant la permanence des soins ». « Cela ne les intéresse plus », déplore la présidente de l'Ordre de l’Ariège.
La permanence des soins n'est attrayante que si la prime d’astreinte est importante, assène le Dr Jean-Paul Hamon, président de la FMF. Il cite notamment l’exemple de l’Aude ou la Creuse, où les médecins effecteurs mobiles sont « véhiculés, défiscalisés et assurés d’avoir une prime d’au moins 500 euros pour 12 heures ».
L'organisation, la clé du succès ?
Comme le Dr Geslin dans son secteur morbihannais, la PDSA ne rencontre pas toujours de difficultés. Dans la région lyonnaise, le Dr Pascal Dureau, généraliste à Vénissieux à la tête d’un groupement de professionnels réunissant neuf maisons médicales de garde, l’affirme : « Ici, nous n’avons aucun problème ! Il y a même une certaine compétition pour y participer ». Le secret selon lui ? L’organisation. « Quand c’est structuré, ça marche. La PDSA est bien programmée, les tableaux sont remplis à l’avance. Je sais par exemple que ma prochaine garde est au mois d’avril », précise-t-il. Dans certains secteurs cependant, il faut inciter avec fermeté les médecins à participer à la PDSA pour qu’elle fonctionne bien. Les y obliger serait-il un moyen de remédier à l’érosion du volontariat ? La Cour des comptes le proposait en substance dans son rapport, les médecins ne veulent pas en entendre parler.
Qu'adviendra-t-il du 116 117 ?
Prévu par la loi santé de Marisol Touraine, l'avenir du 116 117, numéro national gratuit pour joindre un médecin de garde est incertain. Expérimenté en Corse, dans les Pays de la Loire et en Normandie, il devait initialement être étendu avant la fin de l'année 2017, mais sa généralisation a pris du retard. Le gouvernement a en effet lancé une mission d'évaluation de tous les numéros d'urgence et l'idée d'un numéro d'appel unique, le 112, est à l'étude. Ce qui n'est pas du goût des représentants syndicaux, qui espéraient un déploiement rapide du 116 117. « Un même numéro pour un feu de cheminée ou une urgence médicale n’est pas acceptable », estime le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. Pour le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF, le déploiement du 116 117 fait face à d'autres obstacles : « Aujourd'hui, il y a une forte pression des SAMU pour faire du 15 le seul numéro d'appel », estime-t-il.
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