L'intéressement direct des prescripteurs libéraux : c'est un des nouveaux leviers d'action envisagés par la CNAM pour encourager des prescriptions plus pertinentes lorsque l'enjeu économique est important.
Cette piste de travail figurait dans le rapport « charges et produits » 2020 remis en juin dernier par l'assurance-maladie au gouvernement. Mais la CNAM veut maintenant passer aux travaux pratiques. À l’instar du dispositif d'intéressement déjà proposé aux hôpitaux (contrat d'amélioration de la qualité et de l'efficience des soins – CAQES), la Sécu a présenté aux syndicats, lors de la commission paritaire nationale (CPN), une « incitation économique visant à promouvoir une prescription plus efficiente » pour les médecins libéraux, en complément de l'actuelle rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP).
Sous la forme d'« un contrat individuel, unique à durée limitée » dont l'adhésion se ferait uniquement sur la base du volontariat, ce dispositif d'intéressement encourage à remplacer certains médicaments onéreux (ayant un chiffre d'affaires élevé en ville) par des produits comparables moins chers (biosimilaires, génériques) ayant la même efficacité et sécurité. La nouveauté serait de partager directement avec les médecins concernés l'économie procurée par les changements de pratiques. La généralisation est envisagée dès l'an prochain, avec la promesse d'une évaluation rapide.
Selon le document présenté par la CNAM, les négociations s'engageraient d'abord autour de trois biomédicaments dont les biosimilaires sont commercialisés : Etanercept (Enbrel), Adalimumab (Humira) et Follitropine Alfa (Gonal-F). Objectif affiché : augmenter la part de biosimilaires de ces médicaments par rapport aux bioréférents. Cet accord se ferait sous la forme d'un avenant (n°8). Un groupe de travail doit être mis sur pied.
30 % des économies reversées
Dans ce cadre, les premiers praticiens libéraux concernés seront les spécialistes. Pour l'etanercept, médicament des pathologies inflammatoires chroniques rhumatismales (221 millions d'euros de remboursement annuel), le dispositif serait réservé aux rhumatologues libéraux car le potentiel d'interchangeabilité est important (ils sont à l'origine de 39,5 % du total des prescriptions ville et hôpital). Avec une hypothèse de conversion de 50 % des prescriptions vers le biosimilaire, la Sécu espère épargner 21,2 millions. Et en reverser 30 % aux rhumatologues volontaires ayant modifié leur pratique (soit 6,4 millions d'euros).
Concernant l'adalimubab, autre médicament des pathologies inflammatoires chroniques plutôt gastro-intestinales, rhumatologues et les gastro-entérologues pourraient être ciblés. Toujours avec une conversion de 50 % des prescriptions vers le biosimilaire, l'économie escomptée serait de 46,4 millions d'euros – dont 13,9 millions reversés aux praticiens engagés (30 %). L'enjeu est de taille : le médicament référent (Humira) a représenté un remboursement de 489 millions d'euros (621 000 boîtes) sur 2017/2018.
Pour la follitropine alfa, hormone utilisée dans la stimulation ovarienne, le mécanisme serait proposé aux gynécologues obstétriciens et médicaux. L'économie espérée serait limitée à 2,3 millions d'euros dont 0,7 reversés aux spécialistes.
Une question éthique
La profession n'est pas hostile a priori à l'idée d'un intéressement direct sur certaines prescriptions mais conserve des interrogations liées à l'accompagnement des patients. « L'intéressement sur les biosimilaires doit tenir compte de l'éthique médicale, insiste le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. Il ne faut pas que le moindre doute s'installe dans l'esprit du patient. Ce dernier pourrait penser que le médecin prescrit tel ou tel médicament parce qu'il y a un intérêt financier. » Le Dr Franck Devulder, président du Syndicat national des médecins français spécialistes de l'appareil digestif (SYNMAD), estime qu'« il faut intéresser les gastro-entérologues à la prescription de biosimilaires », avec une condition : que le gain supplémentaire soit lié à une meilleure prise en charge des patients (notamment pour mieux gérer la prise en charge d'un traitement complexe).
La FMF estime pour sa part que l'intéressement sur trois biosimilaires est un « bon début ». « On proposera à la CNAM de se pencher sur la prescription des statines chez les personnes de plus 75 ans, avance déjà le Dr Jean-Paul Hamon, chef de file de la FMF. Il n'y a aucune recommandation sur ce sujet ». Le SML déplore lui aussi un cadre de négociation « trop restreint » et un taux de reversement aux médecins de 30 % « insuffisant ». « On démarre sur trois biosimilaires... Mais pourquoi pas sur les antibiotiques qui concernent tous les médecins ? », suggère le Dr Philippe Vermesch, président du SML, qui revendique pour la profession la moitié des économies dégagées et non pas le tiers.
MG France fait valoir que cette première évolution concernera peu de généralistes. « La primo-prescription sur ces médicaments est généralement hospitalière, explique le Dr Jacques Battistoni, président du syndicat. Cela va être compliqué de convaincre les patients attachés à leur primo prescripteurs. »
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