« La crise de la Covid 19 est à l’origine d’une rupture dans la trajectoire financière de la Sécurité sociale ». Même si ce n'est pas une surprise, la Cour des comptes se montre claire et alarmiste sur la dérive budgétaire, dans son épais rapport sur l'application des lois de financement de la Sécu, rendu public ce mardi.
En 2020, le déficit agrégé des régimes de base et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) a atteint 39,7 milliards d'euros soit 1,7 % du PIB (dont 38,7 milliards d'euros pour le régime général et le FSV). « Ce déficit dépasse celui de 2010 (1,5 % du PIB), au plus fort des effets de la récession économique de 2009 », rappelle la Cour. Aucune branche n'est épargnée mais la maladie concentre à elle seule 30 milliards d'euros de déficit en 2020.
Double choc
Ce dérapage sans précédent est évidemment lié à un double choc sanitaire et économique : dépenses exceptionnelles de crise d'un côté, effondrement des recettes de l'autre.
Coté dépenses, rappelle la Cour, l'Assurance-maladie a dû assumer en 2020 des frais considérables et totalement imprévus. La Cour relève 14,6 milliards d'euros de dépassement de la prévision inscrite en loi de financement, pour l’essentiel au titre de la branche maladie. Et de citer les achats de masques et autres équipements de protection individuelle, tests, la compensation des surcoûts de fonctionnement des établissements de santé et médico-sociaux (dont les primes Covid) ou encore indemnités journalières spécifiques. S'y ajoutent les mesures de revalorisation salariale dans les établissements de santé et médico-sociaux prévues par le Ségur de la santé (1,4 milliards d'euros).
Parallèlement, les recettes du régime général se sont effondrées de 11,8 milliards d'euros (soit -2,9 %) par rapport à 2019 du fait de la « chute de l'activité économique » (-7,9 %) et de l'emploi et du recours massif au chômage partiel qui ont privé la Sécu de l'essentiel de ses ressources (cotisations assises sur la masse salariale).
Trajectoire insoutenable ?
Pour 2021, la Cour note une réduction « limitée » de ce déficit, qui s’élèverait encore à 34,6 milliards d'euros dont 30 milliards pour la seule branche maladie. Malgré le « fort rebond de l’activité économique », de l’emploi et de la consommation qui dope les recettes (+ 7,9 %), les dépenses continueraient à grimper avec la montée en charge du Ségur de la santé (7,9 milliards d'euros) mais aussi à cause des surcoûts liés à la vaccination (4,7 miliards d'euros) et aux tests de dépistage (6,2 milliards d'euros).
Au-delà de la situation actuelle, ce sont les perspectives très dégradées qui inquiètent. Selon la Cour – qui reprend les prévisions de la loi Sécu 2022 – les déficits se poursuivront en 2022 (22 milliards), en 2023 (15 milliards) puis en 2024 (encore 13 milliards d'euros), rendant le système de financement quasi-insoutenable. « Le risque est élevé que le déficit dépasse de manière permanente 10 milliards d'euros à partir de 2024 », soulignent les magistrats. Compte tenu de ces prévisions, la Cour alerte déjà sur le fait que « le plafond de 92 milliards d'euros d’autorisation de reprise de déficits par la Cades au titre des exercices 2020 à 2023, fixé par la loi du 7 août 2020, ne permettra pas de couvrir le déficit 2023 ».
Responsabilisation des offreurs de soins
Dans ce contexte, la Cour exhorte l'État à une action « indispensable » pour que « les prestations sociales d'aujourd'hui cessent d’être en partie financées par l’emprunt, et donc par les générations futures. » La rue Cambon préconise en priorité « d'engager des actions d’amélioration de l’efficience des dépenses » dans le périmètre de l’Assurance-maladie. « Dans un système fortement décentralisé et déterminé par l’offre, la maîtrise des dépenses implique une responsabilisation accrue des offreurs de soins, en ville comme à l’hôpital, notamment sur la pertinence des soins », peut-on lire.
Elle recommande à cet égard de « faire évoluer et mobiliser plus largement l’ensemble des outils de régulation disponibles (tarifs, dotations de financement, autorisations d’activité, conventions et contrats avec les offreurs de soin) pour orienter (...) les activités de soins afin de garantir le respect des objectifs financiers et de santé fixés ».
La Cour estime que des gains d'efficience pourraient être obtenus en poursuivant plusieurs réformes en cours ou inabouties : financement des soins de suite et de réadaptation (SSR), de la psychiatrie et des prises en charge des personnes âgées ou handicapées ; régulation prix-volume des dépenses d’actes d’analyses biologiques ; renforcement de la coordination des soins ou encore généralisation de la dématérialisation des prescriptions médicales.
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