LE QUOTIDIEN : La France est rentrée dans une phase de déconfinement. Quel est l'état d'esprit de la profession ?
Dr JEAN-PAUL ORTIZ : Les médecins abordent le déconfinement avec prudence et inquiétude. Nous ne savons pas si nous allons être à nouveau confrontés à une deuxième vague, ce qui serait extrêmement difficile à gérer. Les soldats de la première ligne ont déjà payé un lourd tribut car ils sont montés au front sans moyens de protection. La CARMF a enregistré une trentaine de décès dont une majorité de généralistes. Leur courage et leur abnégation méritent la reconnaissance de la Nation. À la fin de l'épidémie, il faudra en prendre compte.
Les généralistes sont désormais chargés d’identifier les cas contacts des patients testés positifs. Est-ce leur rôle ?
Les généralistes sont totalement dans leur rôle pour prendre en charge les patients testés positifs et les contacts rapprochés, c'est-à-dire uniquement les membres de leur famille vivant sous le même toit (la détection d'autres cas relève des brigades sanitaires de la CNAM). C'est une obligation déontologique dans le cadre de la santé publique de déclarer ces patients à l'assurance-maladie. J'appelle donc les médecins généralistes à faire le maximum pour éviter la propagation du virus en détectant et en sensibilisant. En revanche, être payés 55 euros pour 30 à 45 minutes à rassurer, expliquer, remplir le fichier et rappeler les gestes barrières au patient, ce n'est pas le rêve !
Ce « tracing » des malades réclame aux médecins de remplir un fichier « contact Covid » sur AmeliPro. Est-ce, comme le craint une partie de la profession, un coup de canif au secret médical ?
Nous sommes dans une logique de secret médical partagé avec d'autres acteurs non professionnels de santé qui sont dans l'obligation de le respecter. Par ailleurs, le consentement du patient n'est pas ici nécessaire car nous sommes dans une situation de type maladie à déclaration obligatoire où il faut aller vite pour éviter la propagation de l'épidémie. En revanche, le patient initial testé positif au Covid-19 doit pouvoir rester anonyme s'il le souhaite.
Le gouvernement a annoncé la réalisation de 700 000 tests par semaine. Les médecins vont-ils pouvoir participer à cette stratégie de dépistage ?
Je reste prudent sur cet objectif. On constate encore des tensions d'approvisionnement sur les écouvillons ou des difficultés d'organisation dans les laboratoires privés pour faire des tests PCR. En tout cas, les médecins libéraux qui souhaitent participer à ce dépistage dans leurs cabinets vont pouvoir le faire et seront rémunérés pour cela. Les laboratoires de proximité ont également prévu de réserver un kit de 10 tests par médecin.
La CNAM accepte de compenser les charges des cabinets et non la perte du chiffre d'affaires. Vous avez manifesté votre mécontentement. Pourquoi ?
La CSMF a toujours demandé que cette aide couvre 100 % des charges. Mais cela n'a pas été pris en compte et je le regrette. Les médecins vont percevoir une première avance sur charges pour la période du 16 mars au 30 avril. Mais si l'activité reste toujours quasi nulle dans les semaines à venir, l'aide de la CNAM va être insuffisante. Je pense en particulier aux médecins exerçant une activité chirurgicale en clinique, dont la reprise d'activité s'annonce difficile en raison notamment de la réquisition des médicaments anesthésiants par l'État. C'est pourquoi, j'ai demandé à Nicolas Revel d'ouvrir une négociation dès la deuxième quinzaine de mai pour envisager un accompagnement financier sous la forme d'indemnités de pertes de ressources pour les médecins en incapacité de travailler, cumulables avec l'avance sur charges.
Vous attendez des preuves de solidarité de la CARMF et des assurances privées. Comment doivent-elles se matérialiser ?
La CSMF demande à la CARMF d'attribuer aux 100 000 médecins libéraux une aide puisée dans le fonds de réserve invalidité décès (qui dispose de 584 millions d'euros), d'annuler les cotisations invalidité décès pour cette année et de décaler les cotisations retraite sur six mois. Quant aux assurances privées, nous leur demandons de suspendre ou de diminuer une partie de leurs cotisations. Aujourd'hui, elles ne font absolument rien.
Le déconfinement risque d'entraîner un afflux de patients vers les cabinets. Comment les médecins vont-ils s'organiser ?
S'ils ne se réorganisent pas, les médecins ne pourront pas rattraper le retard pris en raison du renoncement aux soins. Ils vont donc modifier leur fonctionnement. Il n'y aura probablement plus de consultations sans rendez-vous. Certains prévoient aussi de mettre en place des pré-inscriptions pour les consultations, d'utiliser davantage la téléconsultation ou la télé-expertise pour favoriser le lien avec les spécialistes. Pour le suivi des pathologies chroniques, la coordination avec d'autres professionnels de santé comme les infirmiers en pratique avancée prendra sans doute plus de place dans cette nouvelle organisation des cabinets.
Allez-vous reprendre le chemin de la négociation conventionnelle ?
Les médecins vont devoir continuer à travailler avec le virus. C'est pourquoi j'ai demandé au DG de la CNAM Nicolas Revel d'ouvrir des discussions avant l'été afin de négocier un nouveau forfait (dans le cadre du forfait structure) pour tenir compte de l'impact de l'épidémie dans le fonctionnement des cabinets. Cela correspond par exemple à l'aménagement de l'accueil avec un plexiglas, à la mise à disposition des masques ou des solutions hydroalcooliques pour les patients.
Je souhaite aussi négocier la création d'un forfait spécifique pour certains actes médicaux réalisés autour de la sphère oropharyngée au cabinet des ORL, des stomatos et, dans une moindre mesure, des généralistes. Pour examiner la gorge des patients, ces médecins doivent respecter des précautions particulières comme le port d'un masque FFP2 ou l'utilisation de matériels jetables engendrant un surcoût financier.
Enfin, pour faire face à la diminution du nombre de consultations en raison des mesures de sécurité indispensables liées au Covid, la CSMF espère une revalorisation significative du tarif de la consultation. Avant l'épidémie, un médecin généraliste voyait en moyenne quatre à cinq patients par heure, soit 125 euros environ de chiffre d'affaires. Désormais, il ne pourra probablement en voir que trois. Pour avoir un chiffre d'affaires équivalent à la période pré-crise, la consultation devrait donc être rémunérée entre 35 et 40 euros.
Quatre généralistes font vivre à tour de rôle un cabinet éphémère d’un village du Jura dépourvu de médecin
En direct du CMGF 2025
Un généraliste, c’est quoi ? Au CMGF, le nouveau référentiel métier redéfinit les contours de la profession
« Ce que fait le député Garot, c’est du sabotage ! » : la nouvelle présidente de Médecins pour demain à l’offensive
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur