C'est le paradoxe de cette pandémie : la forte diminution de nombreux soins médicaux. « Depuis le début du confinement, mon activité a baissé de 50 % en incluant les téléconsultations. Les patients ont peur de venir », témoigne le Dr Vincent Rébeillé-Borgella, généraliste dans une maison de santé à Lyon, à l'unisson de nombreux confrères.
Même constat pour le Dr Nicolas Thual, généraliste à Bréhan (Morbihan). « Mon activité s’est effondrée. J’ai dû assurer 10 % des consultations présentielles, quelques téléconsultations lorsque le réseau internet le veut bien et cinq à six visites par jour. J’ai mis au chômage partiel mon assistant médical et la secrétaire. Heureusement que j’ai un peu de trésorerie », avoue-t-il.
Installée depuis le 1er janvier 2020 à Ambazac (Haute-Vienne), le Dr Caroline Lhéritier, elle, n’a vu que « deux patients en moyenne par jour » depuis le début du confinement, ordonné par Emmanuel Macron à partir du 17 mars. « Pour moi, c’est une catastrophe. Je n’ose même pas faire les comptes. J’ai déjà demandé un report de mon crédit sur six mois », soupire la généraliste.
Colère
Depuis que le chef de l'État exhorte les Français à rester chez eux et à limiter leurs déplacements au strict minimum, les témoignages alarmistes de généralistes libéraux dont l'activité a fondu comme neige au soleil se multiplient dans l'Hexagone. Car contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’impact économique de la crise sanitaire ne touche pas uniquement les spécialistes – dont l'activité clinique ou technique non urgente se réduit elle aussi considérablement (encadré).
De quoi inquiéter tous les représentants syndicaux des médecins de famille. Le patron de MG France, le Dr Jacques Battistoni, est même en colère. Après le report des soins non urgents, les renouvellements de traitements chroniques transférés aux pharmaciens, « le premier ministre a demandé à la population d’aller voir le médecin uniquement pour les urgences ou sur convocation. Alors que nous avons tout fait pour assurer des consultations en toute sécurité dans nos cabinets, c’est un message contre-productif », tempête le généraliste normand. « Que fait-on des diabétiques, des malades non Covid-19 ? De nombreux patients chroniques ont besoin d’une réévaluation de leur situation sans attendre trois mois. Il va y avoir des retards de diagnostic », ajoute-t-il. Plusieurs leaders syndicaux mettent en cause les messages contradictoires qui détournent la population des cabinets pour des soins pourtant nécessaires.
Report de charges et chômage partiel
Pour compenser cette chute d’activité, les syndicats concernés et l’Union nationale des professions libérales (UNAPL) ont négocié avec le gouvernement l'intégration des cabinets de ville dans le plan de soutien d'un milliard d'euros aux très petites entreprises.
Outre le report des délais de paiement des cotisations et impôts, et la possibilité de mise en chômage partiel des salariés, les cabinets médicaux libéraux ont obtenu (dans le cadre du fonds de solidarité pour les TPE) la possibilité d'une aide défiscalisée de 1 500 euros, à condition de constater un effondrement de leur chiffre d’affaires d'au moins 70 % entre mars 2019 et mars 2020. En cas de risque de faillite, une aide complémentaire de 2 000 euros pourra être versée au cas par cas, si le cabinet compte au moins un salarié.
Mais si ces aides théoriques peuvent soulager à court terme certains cabinets de ville dans le rouge, les conditions pour y prétendre restreignent leur champ d'action : avoir un chiffre d’affaires de moins d’un million d’euros, un bénéfice imposable annuel inférieur à 60 000 euros et un effectif inférieur ou égal à 10 salariés. Pour le SML, au final, « cette aide ne va pas concerner beaucoup de médecins, en raison des conditions imposées. Les généralistes ont un bénéfice moyen annuel supérieur à 80 000 euros », fait valoir le Dr Philippe Vermesch, président du SML.
La même déception est affichée du côté de la CSMF. « C’est clairement très en dessous de ce qu’il nous faut. Nous avons besoin de mécanismes de sauvegarde pour que nos entreprises puissent assurer les charges salariales, les investissements, les crédits. Si on ne les soutient pas, il va y avoir au sortir de la pandémie des problèmes majeurs d’accès aux soins », alerte le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la centrale confédérale. De nouvelles discussions, incluant l'assurance-maladie, seraient en cours à Bercy pour élaborer un mécanisme renforcé de soutien.
L'assurance perte d'exploitation de couvre pas
Outre l’accompagnement par l’État et la CNAM, MG France, le SML et la CSMF réclament un soutien direct des assureurs privés. « Aujourd’hui, les contrats pour perte d’exploitation ne jouent qu’en cas de maladie ou d’accident. Nous demandons que ces contrats prennent aussi en compte les conséquences liées au confinement », explique le Dr Vermesch.
Mais à ce jour, les compagnies d’assurances privilégient une politique de report de cotisations et la participation au fonds de solidarité lancé par les pouvoirs publics pour soutenir les indépendants en difficulté. La Fédération française de l’assurance s'est engagée à débloquer 200 millions d’euros pour alimenter le dispositif du gouvernement. La MACSF a annoncé une contribution spécifique d'un million d'euros pour ses sociétaires « précarisés par la crise ».
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